Les Maîtres chanteurs de Nuremberg au Festival de Bayreuth : le procès de Wagner

- Publié le 13 août 2018 à 17:24
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Une distribution inégale sert le spectacle à la fois virtuose et touffu de Barrie Kosky, où l'intrigue des Maîtres chanteurs et la biographie du compositeur se confondent.

1875, bibliothèque de la villa Wahnfried, le sweet home que Wagner se fit construire à Bayreuth. Sont réunis autour du musicien, ses terre-neuve, son épouse Cosima, Liszt, père de celle-ci, et le chef d’orchestre Hermann Levi. Le maître présente son nouvel opéra et distribue les rôles : lui-même sera Hans Sachs, ses doubles sortis de son piano incarneront Walther et David, Cosima sera Eva, Liszt campera le vieux Pogner, la bonne troquera son tablier pour celui de Lene. Quant au mauvais rôle, celui de Beckmesser, c’est à Levi, le juif de service, qu’il reviendra.

Barrie Kosky file la métaphore avec un brio virtuose, faisant palpiter le pouls de la comédie par une direction d’acteurs mobile et pleine de clins d’œil. Mais à la fin de l’acte I, les choses se gâtent : la bibliothèque laisse place à la salle du procès de Nuremberg. Wagner est appelé à la barre, le metteur en scène ayant visiblement quelques comptes à régler avec lui, ce qu’il fait de façon parfois un rien appuyée. Ainsi, pendant l’enivrante scène de bastonnade qui clôt le II, une grosse baudruche se gonfle et se dégonfle, faisant apparaître une de ces sinistres caricatures de juif grimaçant des années 1930. Un froid glacial s’abat sur le Festspielhaus, on s’interroge : faut-il indéfiniment ramener Wagner à son impardonnable péché d’antisémitisme ?

Au terme de ce voyage au bout de la nuit germanique, où le sous-texte prend souvent le dessus sur le texte, tout sera pardonné. Resté seul en scène afin de délivrer son plaidoyer pour le saint art allemand, Sachs/Wagner est bientôt rejoint par un orchestre symphonique au grand complet (superbe image) : la rédemption par la musique est accomplie.

Au service de ce spectacle touffu, la distribution connaît beaucoup de hauts et quelques bas. Ainsi, Klaus Florian Vogt est un Walther à l’étoffe légère et sans grande aura, qu’on aurait presque envie d’intervertir avec le David de Daniel Behle, dont l’ampleur et la vivacité semblent bien plus épanouies. De même, Emily Magee, quoiqu’estimable musicienne, campe une Eva un peu mûre et éteinte, au côté de la Lene tout en généreux sourires de Wiebke Lehmkuhl.

On s’incline en revanche sans réserve devant le Pogner abyssal et plein de sève de Gunther Groissböck. Devant le Beckmesser de Johannes Martin Kränzle, qui en fait certes des tonnes, mais avec une même justesse dans l’art du chant que dans celui de la comédie. Et surtout, devant le Sachs de Michael Volle, en voix glorieuse, perché sur un nuage de cantabile, avec tout ce qu’il faut de muscle, de larmes et de truculence.

Comme il y a deux saisons à l’Opéra-Bastille, Philippe Jordan soigne en orfèvre les détails et les équilibres de la partition, d’un geste toujours allant, mais sans le soupçon de vif-argent qu’on aime entendre dans Les Maîtres. L’acte III est le mieux construit, entre teintes automnales du début et exultation de la kermesse finale. Comme le proclame le spectacle : Musik über alles.

Les Maîtres chanteurs de Nuremberg de Wagner. Bayreuth, Festspielhaus, le 10 août.

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