Doublé russe (et gagnant) à l'Opéra de Tours

Xl_iolanta © Marie Pétry

Tandis que l’Opéra national du Rhin propose un couplé Arnold Schönberg/Kurt Weill (avec Pierrot lunaire et Les Sept péchés capitaux), l’Opéra de Tours offre au même moment un autre doublé : Mozart et Salieri de Nikolaï Rimski-Korsakov et Iolanta de Piotr ilitch Tchaïkovski. Il ne faut pas chercher de relation trop profonde entre la brève tragédie de Pouchkine et le roman de Henrik Hertz (La Fille du Roi René), si ce n’est la russitude des deux ouvrages, et avouons que leur juxtaposition n’en est pas moins savoureuse.

Provenant du Theater-Otchester de Bienne/Soleure, les deux productions sont signées par le directeur de l’institution helvétique, Dieter Kaegi. Le metteur en scène suisse opte avec Mozart et Salieri pour une scénographie simple dominée par un piano de concert qui occupe l’espace et par quelques accessoires : un lustre à pampilles, des torchères, des rideaux rapportés qui serviront d’espace de jeu pour Mozart. L’essentiel est bien d’exposer les contradictions des personnages, leurs divergences malgré une amitié affichée. Salieri, lui le compositeur installé mais sans génie, conscient de la différence de talent qui l’oppose à son jeune confrère viennois, l’empoisonnera comme pour exorciser cette situation invivable : il n’en sera que plus seul, plus isolé. Avec Iolanta, seul ouvrage souriant (et ultime opus lyrique) de Tchaïkovski, l’atmosphère apparaît tout autre. Toute l’action tourne autour du personnage de Iolanta, cette jeune fille innocente que la cécité isole du monde extérieur. Dieter Kaegi crée avec cette serre parsemée de roses blanches et rouges où Iolanta vit et se repose, un espace propre à la préserver. La venue du médecin oriental chargé de la guérir sous réserve qu’elle apprenne son infirmité, et surtout celle de Vaudémont qui l’enveloppe d’emblée d’un amour exclusif, la déstabilise. Loin de privilégier la fin heureuse de l’ouvrage, Dieter Kaegi choisi de monter la détresse de Iolanta, épouvantée par ce nouvel environnement et ces transformations (trop) rapides, qui finit par se crever les yeux avec les roses de son jardin ! La mise en scène est précise, forte, et donne à l’ouvrage une dimension toute singulière.     

Dans le premier ouvrage, le ténor géorgien Irakli Murjikneli et la basse russe Mischa Schelomianski se distinguent. Le premier délivre un Mozart à la voix percutante et bien projetée, tout en fougue juvénile. Le second offre ses graves profonds et son imposante présence au personnage inquiétant de Salieri. On les retrouve dans Iolanta, dans le rôle de Vaudémont pour le premier, auquel il confère séduction dans le phrasé et facilité dans l’aigu, et dans la partie du Roi René pour le second, où il impressionne à nouveau par son registre grave et dense qui confère toute son autorité au personnage. Dans le rôle-titre, la soprano russe Anna Gorbachyova dispose d’un médium et d’un grave rond et sensuel, et l’instrument se durcit curieusement dans un aigu par ailleurs plus puissant que sûr. Mais elle met une urgence et une conviction telles qu’on lui pardonne la pression subie par l’instrument dans les passages tendus. Le reste de la distribution est tout à fait convaincante. En Robert, le baryton azéri Javid Samadov paraît à son avantage, tout comme l’Ibn Hakia du baryton arménien Aram Ohanian. On remarque encore l’Alméric du ténor français Raphaël Jardin, de même que les trois touchantes « nounous » de Iolanta : Delphine Haidan, Majdouline Zerari et Yumiko Tanimura.

Enfin, l’Orchestre Symphonique Région Centre Val de Loire/Tours et le Chœur de l’Opéra de Tours remplissent très bien son contrat, et la direction du chef russe Vladislav Karklin, directeur musical de l’Opéra de Krasnodar, souligne superbement à la fois le lyrisme délicat du conte de fée et l’urgence passionnelle de l’écriture mélodique du chef d’œuvre de Tchaïkovski.

Emmanuel Andrieu

Mozart et Salieri de Nikolaï Rimski-Korsakov et Iolanta de Piotr Illitch Tchaïkovski à l’Opéra de Tours, jusqu’au 29 mai 2018

Crédit photographique © Marie Pétry

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