Sur papier, la production de Carmen de l’Opéra de Québec s’annonçait des plus prometteuses, avec deux protagonistes principaux ayant été lauréats de nombreux concours internationaux (dont l’Operalia à Québec en 2008) et abonnés à plusieurs scènes prestigieuses. Une fois assis dans la salle, la déconvenue est toutefois proportionnelle aux attentes. Le spectacle a pourtant tout pour bien fonctionner. Habitué de l’Opéra de Québec (Lucia di Lammermoor, Falstaff, La damnation de Faust), le chef italien Giuseppe Grazioli enflamme la fosse et offre aux chanteurs un accompagnement idéal (seul bémol : un tempo vraiment trop lent dans « Les tringles des sistres tintaient »). Comme l’orchestre, les chœurs font un sans-faute, notamment le chœur d’enfants, impressionnant de justesse et de précision. La mise en scène de Jacqueline Langlais, classique mais efficace, transpose l’action dans une sorte de république bananière, avec des décors modestes faisant appel à des projections et à différentes animations (notons le saisissant tableau final, avec un immense taureau transpercé de lances sur fond rouge).

Le problème est ailleurs. C’est une lapalissade d’affirmer que la langue n’est pas un élément secondaire dans un opéra, et si une maîtrise discutable du français peut passer comme une lettre à la poste à San Francisco ou à Düsseldorf, cela fonctionne cependant beaucoup moins bien devant un public francophone. C'est là que le bât blesse, avec les deux chanteurs principaux témoignant d'une diction mal assurée. En ce qui concerne Ketevan Kemoklidze (Carmen), le son est tellement tubé (les lèvres étant exagérément portées vers l’avant) que tout tourne autour d’une sorte de voyelle centrale imprécise là où le français exige une importante différenciation des voyelles. Quant au Brésilien Thiago Arancam (Don José), il roule exagérément les « r » et remplace les « u » par une sorte de « i » ce qui ne facilite en rien la compréhension du livret. Il n’est pourtant point nécessaire d’être francophone pour chanter un français bien énoncé, en témoigne l’Escamillo du Mexicain Armando Piña.

Au chapitre purement vocal, la comparaison entre la Carmen et Don José n'est pas à l'avantage du second, qui avait pourtant paru particulièrement prometteur sur la même scène dix ans plus tôt au Concours Operalia lors duquel il fit une moisson de prix. La puissante voix d’Arancam a, dans le médium, le splendide métal des voix latines. C’est dans la quinte aiguë que les choses se gâtent. Dès qu’elle dépasse le fa, la voix se rengorge, se coince. Dès le duo avec Micaëla, le chanteur semble en difficulté. Heureusement, Kemoklidze sauve la mise avec une voix ample et riche, projetée puissamment et avec une étonnante facilité.

Armando Piña nous sert quant à lui un Escamillo tout à fait convenable, avec une voix peu puissante, mais agréable, et un engagement scénique tout à fait honorable. La Micaëla de Myriam Leblanc est cependant quelque peu décevante. C’est probablement la nervosité qui a empêché un plein épanouissement de sa voix, qui manquait la plupart du temps (sauf à certains moments dans son air du troisième acte) de rondeur et de justesse.

Disons-le sans ambages :  ce sont les contrebandiers, principalement présents aux deuxième et troisième actes, qui sont les véritables héros de la soirée. Entendre le Remendado d’Éric Thériault, le Dancaïre de Dion Mazerolle, mais surtout la Frasquita d’Audrey Larose-Zicat et la Mercédès de Caroline Gélinas (dont la voix évoque agréablement celle de Michèle Losier) constitue un soulagement. Le français cesse ici d’être malmené et on entend des voix saines animées par un enthousiasme communicatif.

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