Opéra de Bordeaux : coup de jeune sur Lucia di Lammermoor

- Publié le 9 avril 2018 à 17:21
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Le chef, Pierre Dumoussaud, n'a pas trente ans. Et les trois protagonistes à peine plus !

Un vague paysage de lande écossaise, noyée de brouillard. Un amoncellement de meubles effondrés, d’où les choristes émergent, comme des morts sortant de leurs tombeaux. A la fin, ils se coucheront, devenant les gisants du cimetière des Ravenswood. Dans cet univers marqué par la mort, la ruine et les ténèbres, Enrico, désormais protagoniste du drame, revit la tragédie qu’il a provoquée et qui l’a rendu fou, lui aussi. Mais pourquoi Francesco Micheli tire-t-il la ficelle usée du flash back ? Sa production n’en est pas rehaussée, qui revisite le romantisme gothique de Walter Scott à travers une lecture où chacun, prisonnier de l’histoire familiale, perpétue les haines ancestrales au sein d’une société puritaine. Certaines idées sont bien trouvées : pendant que joue l’harmonica de verre, Lucia, telle une enfant, s’amuse avec les verres du banquet et le vin remplace le sang du mari assassiné. La direction d’acteurs veille à ne pas figer le chœur. Mais tout reste compromis par le traitement grand-guignolesque de la folie d’un Enrico bourré de tics.

Les deux protagonistes n’ont pas de grandes voix ? Ils rendent à Lucia et à Edgardo leur fragilité. Physique adolescent, Georgia Jarman fait de l’héroïne une jeune vierge romantique, au phrasé délicat, aux nuances subtiles, à la vocalise expressive et rebelle à l’effet. A cette Lucia il fallait l’Edgardo introverti de Julien Behr, sans doute à la limite de ses moyens, mais remarquable par la pureté raffinée de la ligne et la maîtrise d’une voix à laquelle il interdit tout écart vériste. Belle prise de rôle, comme pour Florian Sempey, qui chante en belcantiste la noirceur d’Enrico, restituant du coup sa vérité vocale, avec un aigu d’une insolence inouïe – jusqu’au si bémol ! Lucia prend grâce à ces trois-là un sacré coup de jeune. Mais le Raimondo de Jean Teitgen, d’une profondeur irradiante, n’a rien à leur envier. Les rôles secondaires n’ont pas été négligés : Alisa gouvernante anglaise d’Albane Carrère ou Normanno tortueux de Paul Gaugler.

Pierre Dumoussaud confirme sa vocation de chef d’opéra, qui prend, au risque de quelques décalages, le parti d’un romantisme incandescent : magnifique direction, pleine de contrastes et de couleurs, aussi éloquente dans la conduite du drame que dans le raffinement du détail.

Lucia di Lammermoor de Donizetti. Bordeaux, Grand-Théâtre, le 5 avril.

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