La toute nouvelle production de l’opéra national de Georges Bizet Carmen proposée au Théâtre du Capitole relève d’un subtil mélange d‘innovation et de tradition. C’est la version princeps qui est choisie, avec son alternance d’airs et de dialogues issue de l’Opéra-comique. Au plus près du livret d'Henri Meilhac et de Ludovic Halévy mais surtout de la nouvelle de Prosper Mérimée, la production et la mise en scène de Jean-Louis Grinda n’en sont pas pour autant littérales et offrent une profondeur de champ et une interprétation largement dépoussiérées. Les costumes de Rudy Sabounghi et de Françoise Raybaud Pace font le choix de l’époque historique et font écho au « 1875 » inscrit sur le mur d’arrière-plan.

Andréa Molino surprend la salle avec une ouverture lancée alors que le public s’installe encore. En forme de tableau, la scène s’ouvre après quelques notes sur la présentation des personnages et de la foule des fières manufacturières portant leurs ombrelles comme des fusils. Puis chaque personnage apparaît sur le thème individuel lui correspondant. Le point de vue choisi est exprimé d’emblée : celui de Don José (Charles Castronovo) qui apparaît (ou plutôt son double vidéo), croupissant dans une prison et se remémorant les événements l’ayant conduit là. On revoit ainsi dès l’ouverture l’assassinat de Carmen par Don José en arrière-plan, plus prémédité que prédestiné. La fin est dès le début déjà scellée mais reste à parcourir les paroles et les intrigues ayant conduit à ce geste fatidique. La dernière scène de l’opéra ne sera donc qu’un retour à la situation initiale.

La Marche et Chœur des gamins égaillent un peu l’opéra avec une maîtrise du Capitole très enjouée et brillante au milieu de la fumée des manufactures. De même le chœur sera largement mis en valeur toute la soirée. Dans cette ambiance, Carmen (Clémentine Margaine) émerge, affichant des respirations et un ton qui marquent l’aspect roublard et presque lubrique de l’ouvrière volage. Sa danse pour Don José est suave mais elle sait passer immédiatement à la raillerie dès que sonne le clairon de l’appel. Son association en trio avec Fransquita (Charlotte Despaux) et Mercédès (Marion Lebègue) est vibrante, en particulier lors du tirage de cartes. Don José est lui constant dans son manque de nuance, et la voix s’accorde là aussi magnifiquement au personnage, obsédé par l’amour de sa mère, puis par Carmen, puis par sa vengeance jalouse. Jouant parfaitement le mélange tragique de naïveté et de violence, le chanteur amène parfaitement la montée de tension. Escamillo (Dimitry Ivashchenko) est grandiloquant dans son habit de lumière mais peu présent d’un point de vue gestuel. Contrairement au reste du plateau le texte n’est pas toujours intelligible. Les passages montrant des moments de danse sont traités avec une esthétique certaine par les costumes et les jeux d’ombres mais sont beaucoup moins spectaculaires que les parties vocales. Le reste du plateau, et en particulier les rôles militaires de Zuniga (Christian Tréguier) et Moralès (Anas Seguin), est très soigné.

Deux grands panneaux longs et courbés figurent l’arène tout au long du spectacle mais permettent, par glissement et avec l’excellent jeu des lumières (Laurent Castaingt) et des décors (Rudy Sabounghi) de matérialiser intérieurs et extérieurs. Tout du long la vidéo (Gabriel Grinda), avec parcimonie, ne cesse de permettre des ellipses temporelles qui affichent des événements se déroulant simultanément avec la scène principale (paseo et lidia d’Escamillo, Carmen dansant à côté du torero sur le mur, etc.). L’excellence du plateau alliée à une mise en scène historique mais innovante, simple mais efficiente font de cette production une belle réussite là où le public attendait nécessairement un soin particulier.

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