Un Enlèvement au Sérail fort singulier à l'Opéra de Rouen
Cette production de L'Enlèvement au Sérail de Mozart poursuit son périple dans les opéras de France. Après Clermont-Ferrand en début d’année puis Avignon, elle fait escale à l’Opéra de Rouen Normandie le temps de quatre représentations. L’ouvrage est transposé dans un cabaret viennois de l’entre-deux-guerres, avec cette ambiance cosmopolite et bigarrée proche du basculement qui, comme à Berlin avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, caractérisait ces établissements de plaisir. Ici, dans la mise en scène d’Emmanuelle Cordoliani, il s’agit plutôt d’évoquer l’oppression subie par Constance, Blonde et Pedrillo, retenus prisonniers par un Selim Pacha devenu, avec l’aide du fidèle Osmin, tout puissant directeur des lieux. Pour accentuer cette dimension spécifique, le personnage même de Selim Pacha a été développé en lui confiant des parties parlées importantes et quelquefois un rien moralisatrices. Cet ouvrage de Mozart est certes un Singspiel, mais la partie très accentuée des textes (Blonde se lance elle-même dans un conte arabe très développé), donnée dans des langues diverses (allemand, italien, espagnol) prend le risque d’un déséquilibre entre musique et paroles. Malgré l’animation de la scène et la traduction d’excellentes idées, le rythme strictement musical en pâtit et l’ouvrage semble ainsi démesurément long. Heureusement, les jeunes chanteurs apparaissent aussi d’excellents comédiens, fort bien guidés par la metteuse en scène.
Katharine Dain livre une belle prestation dans le rôle éminemment difficile de Constance. Si la voix doit encore s’affirmer et se caractériser sur toute la longueur du rôle, elle se délie parfaitement, avec des vocalises très en place, un aigu rayonnant, des assises prometteuses. En Blonde, Pauline Texier, très à l’aise au plan scénique, virevoltante et piquante, avec une voix facile et acidulée, recueille un franc succès. Chez les hommes, le ténor Blaise Rantoanina doit encore peaufiner son phrasé et surveiller l’aigu, mais il campe un Belmonte attachant et qui s’inscrit bien dans sa tessiture. Bondissant et fougueux, César Arrieta fait preuve de jolis atouts en Pedrillo même si la ligne vocale paraît encore un rien fragile. Nils Gustèn, très grand et mince, incarne un Osmin bien loin du personnage enveloppé et presque caricatural habituellement proposé. Sa voix de basse ne possède pas encore les graves imposants ou ce délié dans les parties de vocalises qui fondent les caractéristiques vocales d’Osmin. Puissant comédien, avec de grands élans de voix, Stéphane Mercoyrol donne un relief saisissant à Selim Pacha, personnage à la fois complexe et miséricordieux.
Les Chœurs de l’Opéra Grand Avignon donnent toute satisfaction, tandis que la direction musicale d’Antony Hermus, placé à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen, donne un relief quelquefois un peu appuyé à la musique de Mozart. La dynamique d’ensemble est toutefois bien présente, fort attentive aux chanteurs. Les prochaines représentations de l’ouvrage se dérouleront à l’Opéra de Massy les 25 et 27 mai prochains.