Umberto Giordano (1867–1948)
Andrea Chénier
Opéra en quatre actes, livret de Luigi Illica créé à Milan (Teatro alla Scala) le 28 mars 1896

David Mc Vicar (Metteur en scène)
Robert Jones (Décors)
Jenny Tiramani (Costumes)
Andrew George (Chorégraphie)
Adam Silverman (Lumières)
Orchestre symphonique et chœur du Gran Teatre del Liceu
Pinchas Steinberg (Direction musicale)

Jorge de Leon et Jonas Kaufmann (Andrea Chenier)
Julianna Di Giacomo et Sondra Radvanovsky (Maddalena)
Michael Chioldi et Carlos Alvarez (Carlo Gerard)
Gemma Coma-Alabert et Yulia Mennibaeva (Bersi)
Fernando Rado (Roucher)
Sandra Ferrandez (Comtessa di Coigny)
Elena Zaremba et Anna-Tomowa-Sintow (Madelon)
Francisco Vas (L’Incroyable)
Toni Marsol (Fléville)
Manel Esteve (Mathieu)
Marc Sala (Abate)
Fernando Latorre (Fouquier-Tinville)

Prochaines représentations : 19, 21, 22, 24, 25,27 et 28 mars.

Gran Teatre del Liceu Barcelona, 10 et 12 mars 2018

Il est loin le temps où le rôle-titre d'Andrea Chénier faisait délirer les foules, où les aficionados hurlaient leur amour après chaque intervention de leurs idoles et où les ovations semblaient ne jamais pouvoir prendre fin. Del Monaco, Corelli, Bergonzi et Domingo n'ont pas été remplacés et Kaufmann, pourtant adulé aujourd'hui (en alternance avec Jorge de Leon en seconde distribution), n'a pas suscité l'enthousiasme escompté à Barcelone. Comme à Paris en version concert la saison dernière, la ferveur s'est reportée sur le soprano, en l'occurrence la grande Sondra Radvanovsky, à l'image d'Anja Harteros au Théâtre des Champs-Elysées, remportant un triomphe indescriptible, suivi à l'applaudimètre par celui réservé à Carlos Alvarez, extraordinaire interprète il est vrai. Etrange retournement de situation…

Jonas Kaufmann et Sondra Radvanovsky (Cast A)

Créée il y a trois ans au Covent Garden de Londres avec le couple Kaufmann/Westbroek et capté par les caméras de Jonathan Haswell ((DVD Warner Classics enregistré le 29 janvier 2015. Cf notre compte rendu ci-dessous)), cet Andrea Chénier signé David McVicar est actuellement à l’affiche du Gran Teatro del Liceu de Barcelone. Onze ans après Phlippe Arlaud, la mise en scène de l’écossais ne s’écarte pas d’un pousse de la tradition avec décors, costumes et chorégraphies simplistes (voire interchangeables, comme ce dernier acte qui pourrait servir de cadre à une éventuelle Tosca !), direction d’acteur dérisoire, pour une « reconstitution historique » à l’académisme assumé.
Des trois distributions ((Antonello Palombi chante Chénier les 18, 21, 24 et 27 mars.)), la première qui rassemble Kaufmann/Radvanovsky et Alvarez, malgré des tarifs exorbitants a provoqué un véritable raz de marée, chacune de ces représentations se jouant à guichets fermés. La seconde, portée par des artistes beaucoup moins prestigieux (vue le 10 mars) ne peut évidemment rivaliser avec le gotha lyrique, mais n’a pour autant pas à rougir.

Jorge De Leon et Julianna Di Giacomo (Cast B)

Jorge de Leon possède un matériau vocal puissant, une émission un rien monolithique, mais un registre supérieur solide qui lui permet d’affronter sans peine l’écriture escarpée du poète révolutionnaire, véritable tribun lors de son « procès » à l’acte 3. Le timbre n’est pas rare, mais l’interprétation du ténor est solide, maîtrisée, ardente sans être fiévreuse comme celle de son illustre confrère (entendu le 12) ; ce dernier excelle comme toujours dans ses fameux clair-obscur, distille un art consommé de la ligne et des nuances et culmine dans un dernier duo aussi fougueux qu’enthousiasmant, sans pour autant soulever le délire attendu ! Ingrat, le public a dans une moindre mesure, également réservé un accueil mitigé, pour ne pas dire sévère, à Jorge de Leon, comme pour lui faire payer la présence de Kaufmann auquel ni sa technique, ni son approche ne peuvent être comparées.

La voix saine et bien trempée de Julianna Di Giacomo n’est évidemment pas comparable à celle de Sondra Radvanovsky superbement timbrée et armée pour transformer la partition en exercice vocal de haute lignée, mais la cantatrice possède l’assurance et le tempérament qui conviennent à Maddalena. Quelques sons filés, quelques timbrages plus calculés, que dispensent sans compter sa consœur qui triomphe après un anthologique « Mamma morta », manquent à l’appel ; mais la prestation est de qualité et en tout cas supérieure à celle de Ewa-Maria Westbroeck à Londres, fâchée avec le diapason. Interprète subtile qui chante divinement sans montrer la moindre difficulté, Sondra Radvanovksy emporte tout sur son passage, cantatrice solaire et généreuse que l’on a envie de suivre jusqu’au bout du monde et en tous cas vers l'échafaud !

Sondra Radvanovsky et Carlos Alvarez (Cast A)

Michael Chioldi qui alterne avec le baryton-star Carlos Alvarez, impressionnant d’aisance vocale et de puissance dramatique, n’a pas la tâche facile, mais son Gérard impulsif, opportuniste sans pour autant surjouer la hargne et la rancœur, touche par son engagement et sa douleur longtemps refrénée, le public lui accordant une belle ovation. Alvarez de son côté n’a qu’à se présenter sur scène pour susciter l’admiration tant sa diction, sa finesse et l’éclat de ses aigus semblent venus d’une autre galaxie. D’excellents seconds rôles permettent de relever la belle voix de baryton de Fernando Rado (Roucher) et la très honorable Bersi de Gemma Coma-Alabert ; l’apparition d’Anna Tomowa-Sintow (le 12) très diminuée vocalement et physiquement en Madelon, ravive quelques souvenirs anciens, Elena Zaremba ne faisant qu’une bouchée de ce personnage.

Dans la fosse, Pinchas Steinberg chef plus réputé pour la rudesse de ses approches musicales que pour la délicatesse de son geste réussit un tour de force, la partition de Giordano lui inspirant de très beaux moments de tension et de lyrisme, obtenus d'un orchestre du Gran Teatre del Liceu, galvanisé par sa présence.

Jonas Kaufmann (Cast A)

 

 

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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