Pelléas et Mélisande à Bordeaux marqué par une triple prise de rôle mémorable

Xl_pel3 © Julien Benhamou

Les 19 et 21 janvier, l’Opéra de Bordeaux donnait dans son auditorium un Pelléas et Mélisande qui avait de quoi attirer tous les regards puisqu’il marquait trois prises de rôles (sur lesquelles nous reviendrons plus bas) dans une mise en espace signée Philippe Béziat et Florent Siaud.


Pelléas (Stanislas de Barbeyrac) et Mélisande (Chiara Skerath) ;
© Julien Benhamou

Si, de prime abord, on peut trouver quelque peu exagéré que deux noms soient assignés à une « simple » mise en espace, on se rend vite compte que ce à quoi nous assistons est finalement bien plus que cela. On pourrait même parler de travail semi-scénique plus que de mise en espace. Les personnages nous apparaissent bel et bien en costumes, vieillis pour Golaud et Arkel, les interprètes occupent et se déplacent sur l’ensemble de l’espace qui n’est pas couvert par les musiciens, y compris en hauteur et dans une petite fosse ouverte pour l’occasion de laquelle sortira Mélisande et dans laquelle tombera Pelléas une fois tué par son frère. En réalité, peut-être pourrait-on voir ici une mise en scène qui met l’orchestre au centre du plateau… Le résultat, quoi qu’il en soit, est parfaitement réussi : la présence de l’avant-scène en plus de la petite scène surélevée, ainsi que la scène du fond, elle aussi surélevée, permet de créer une profondeur et une perspective à l’ensemble. De plus, l’apparition des chanteurs en hauteur dans les scènes de la tour et de la grotte contribue à transporter et immerger le spectateur. Enfin, l’emploi de projections sur le mur du fond, ainsi que sur le rideau noir et transparent, offre les décors (comme la forêt ou l’eau) mais aussi le fantastique (comme la chevelure de Mélisande) qui pourraient manquer à une simple mise en espace.


Golaud (Alexandre Duhamel), Mélisande (Chiara Skerath)
et Arkel (Jérôme Varnier) ; © Julien Benhamou

Toutefois, si la scénographie est une belle surprise, l’attrait principal qui pousse à venir entendre cette production est son plateau réunissant non seulement de belles voix, mais également trois prises de rôles !
Tout d’abord, Stanislas de Barbeyrac, qui interprète son premier Pelléas, apporte une belle candeur au personnage rendu presque enfantin jusqu’à ce qu’il avoue son amour à Mélisande. La voix rayonnante du ténor parvient ici à tenir l’ensemble de cette difficile partition tantôt interprétée par un ténor, tantôt par un baryton. La noblesse du chant sied à merveille au personnage, la voix étant aussi à l’aise dans les aigus que dans les graves. Face à lui, Chiara Skerath, dont le timbre si particulier est reconnaissable entre mille. Elle offre au public bordelais sa toute première Mélisande et convainc pleinement dès ce premier essai, notamment grâce à une ligne de chant unie, une prononciation excellente (comme celles de l’ensemble de ses partenaires) et un jeu tout en mesure. L’air « Mes longs cheveux descendent » lui permet de faire entendre une voix délicieusement cristalline tandis que la scène de sa mort est d’une belle justesse, laissant aller sa voix à un souffle audible, certes, mais assez maîtrisé pour qu’il fasse bel et bien entendre une mourante. Enfin, Alexandre Duhamel marque la troisième prise de rôle de la soirée en Golaud magistral, sachant se rendre doux et tendre, puis fou de rage et de jalousie, faisant voir un personnage aux deux extrêmes et aux deux facettes avec autant de crédibilité pour l’une que pour l’autre.

A ces trois jeunes noms s’ajoute celui de Jérôme Varnier dans le rôle d’Arkel, à qui il prête son timbre de voix profond et plein de rondeur, en plus d'une présence scénique qui octroie au personnage toute sa prestance royale, mais sans omettre pour autant l'âge du souverain. Le chanteur incarne ainsi parfaitement la grandeur passée et impose le respect. En Geneviève, nous retrouvons Sylvie Brunet-Grupposo, une habituée de ce rôle qu’elle sert merveilleusement dès les première notes, tant vocalement que scéniquement. La voix profonde et ambrée impose la cantatrice et l’on regrette que son personnage n’ait pas davantage de place dans la partition. Enfin, Jean-Vincent Blot est un médecin de grande qualité qui rejoint cette distribution tandis que le rôle d’Yniold est confié à Maëlig Querré, une soliste JAVA (Jeune Académie Vocale d'Aquitaine), qui ne convainc malheureusement pas dans ce rôle à la partition plus difficile qu’elle n’y paraît, le parlando prenant parfois le dessus, le chant n’étant pas toujours très assuré.

A la direction, Marc Minkowski propose une direction qui laisse entendre toute la maîtrise et la connaissance approfondie qu’il a de l’œuvre, parvenant à jouer avec la nouvelle place de l’orchestre sur cette scène afin de ne jamais empiéter sur les voix. Il tire de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine une belle précision ainsi que de belles nuances et couleurs.

Deux très belles soirées qui marquent la réussite du pari fou de Marc Minkowski de transformer cette version de concert en version scénique. Une idée à retenir !

Elodie Martinez

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