Opéra de Paris : Jephtha de Handel sauvé par le chœur

- Publié le 16 janvier 2018 à 16:03
Jephtha
Au Palais Garnier, Claus Guth aborde le dernier oratorio de Handel en juge des passions, dans un procès où comparaissent l'héroïsme et la grâce.

Même dans la fiction, même par jeu, Claus Guth ne saurait nous laisser frissonner impunément aux accents héroïques de Jephtha magnifiés par l’éclat des chœurs. Une bonne partie de la mise en scène pourrait ainsi se résumer à : « la guerre, c’est moche ». Le peuple élu agite un drapeau uniformément gris : interdiction de s’identifier, de préférer, fût-ce en spectateur candide. Dès le départ les mines sont grises ; le sang macule les costumes avant que le combat ait lieu – et pas seulement pour illustrer la prémonition du sort d’Iphis – sœur en sacrifice d’Iphigénie comme Jephté fraternise avec Agamemnon dans cet oratorio biblique d’un Handel qui perdit la vue en pleine composition.

Avant le début du deuxième acte, la bataille – que le livret abandonne à l’ellipse – nous est montrée dans toute sa cruauté avec force égorgements et effets de piano sonorisé ponctuant les numéros tout au long du spectacle. Le jeune Hamor, soupirant d’Iphis, annonce la victoire dans un état de stress post-traumatique ; lorsqu’il reparaît, Jephté est encore en train de massacrer ses ennemis.

Dans ce contexte, le sacrifice ne cristallise plus le dilemme d’un père piégé par son serment, pris au cœur du conflit entre le salut commun et le sang de sa fille. Il est comme la conséquence d’un aveuglement superstitieux, belliqueux et tribal. L’intervention de l’ange venu sauver l’innocente n’arrange rien : apprenant qu’elle doit renoncer à Hamor pour se vouer à Dieu dans la chasteté, la voici qui sombre dans la folie sur un lit d’hôpital, après que Jephté a remercié le Très-Haut (« For ever blessed be Thy holy name ») en lui crachant à la figure.

Réfuter l’œuvre, démolir le système de valeurs qui la sous-tend : la direction d’acteurs apporte tout juste quelques nuances, un peu de vie aux gestes symboliques qui traduisent cette approche, comme la circulation sur scène de grandes lettres formant les premiers mots du drame : « It must be so ».

La soirée est sauvée d’abord par le chœur des Arts Florissants, qui rend à l’émotion sa vigueur tragique – dommage que « How dark, O Lord », sommet de la partition, fasse entendre des nuages de consonnes sur-prononcées et peu synchrones. Dans le rôle-titre, Ian Bostridge (lors de la création du spectacle fin 2016, les Amstellodamois avaient… Richard Croft !) assume un tranchant du timbre et de l’émission mieux accordé aux visions de Claus Guth qu’aux tendresses ultimes de « Waft her, angels ». Marie-Nicole Lemieux (son épouse Storgé, la Clytemnestre de l’histoire) ose une emphase qui disloque « In gentle murmurs » mais donne aux « Scenes of horror » un aplomb fulgurant.

Face à l’Iphis de Katherine Watson, qui soigne les mots plutôt que la justesse, le Hamor du « contre-ténor » Tim Mead affirme un chant onctueux quoique surveillé. Le Zebul corsé de Philippe Sly trouve sa place parmi ces incarnations à la fois résolues et hors-jeu. En fosse, un orchestre que les moments forts électrisent mais auquel la direction de William Christie, manifestement éprouvé au moment des saluts, peine à donner cohésion et profondeur.

Jephtha de Handel, Palais Garnier, le 13 janvier. Représentations jusqu’au 30.

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