Création mondiale de Marnie au London Coliseum

Xl_eno-marnie-sasha-cooke-richard-hubert-smith © (c) Richard Hubert Smith

Marnie évoque aujourd’hui un film d’Hitchcok (Pas de printemps pour Marnie), mais l'oeuvre a d'abord été un roman écrit par Winston Graham en 1961. Il raconte l’histoire d’une femme meurtrie depuis l’enfance, persuadée, selon les dires de sa mère, d’avoir tué son petit frère encore bébé. Devenue adulte, elle enchaîne les emplois, dans lesquels elle s’installe un certain temps, avant de s’enfuir à chaque fois avec la caisse, puis déménage en utilisant un autre pseudonyme. Elle croit au plus profond d’elle-même que Dieu, qui pardonne tout, la sauvera coûte que coûte car aucune de ses arnaques ne sera plus odieuse que le crime qu’elle a déjà commis. 


Marnie- Katie Coventry, Charlotte Beament, Sasha Cooke, Katie Stevenson,
Emma Kerr © Richard Hubert Smith / ENO

Quand Mark Rutland, l’un de ses patrons, découvre le pot aux roses, il l’oblige à l’épouser en la menaçant de la dénoncer à la police. Enfermée dans l’impasse de son mariage, Marnie ne trouve le salut que lorsqu’elle découvre son innocence totale dans le décès de son frère cadet. Elle trouve ainsi la force de rejeter Mark et d’avouer ses larcins à la police : elle déclare alors paradoxalement se sentir libre.

La version lyrique de Nico Muhly, coproduction entre l’English National Opera et le Metropolitan Opera de New York, est plus compatissante envers Marnie que le film, et se rapproche davantage du livre original. La voleuse est ici victime, et affirme que nous, êtres humains, incarnons constamment des personnages distincts selon notre environnement. La mise en scène entoure donc la protagoniste de quatre « ombres » (Charlotte Beament, Katie Coventry, Emma Kerr and Katie Stevenson), qui révèlent plusieurs facettes de sa personnalité. Quatre danseurs en costumes de bureau apparaissent à intervalles réguliers dans des chorégraphies très saccadées, pour représenter l’emprise masculine et les forces qui se jouent contre elle. Au cours d’une croisière, ils se placent autour de son lit et rappellent les « hommes aux costumes gris » dont la Princesse Diana parlait régulièrement.

L’intention est noble et les idées sont clairement énoncées dans cette nouvelle création innovante, efficace et en fin de compte accomplie, même si quelques points noirs atténuent toutefois l’émotion suscitée par le spectacle. Ces éléments ont trait à plusieurs sphères, mais sont de fait connectés car ils s’appliquent à la transversalité de l’œuvre.

Tout d’abord, l’opéra, mis en scène par Michael Mayer, semble vouloir tout nous dire, sans exception, sur les agissements de Marnie et leurs origines. Tous les personnages expriment continûment leurs pensées à haute voix, au détriment des rares interactions qui constituent une expérience bien plus authentique. Le second hic réside dans la scénographie de Julian Crouch et 59 Productions, globalement réussie mais trop évidente. Des mobiles et des murs s’abaissent pour recevoir des projections lumineuses qui illustrent efficacement le drame, créant parfois des tableaux saisissants. Mais ce procédé ingénieux devient très illustratif et impose une vision totale ; son utilisation persistante enlève la part de cœur et de magie à l’ensemble.


Marnie - Sasha Cooke, Daniel Okulitch © Richard Hubert Smith / ENO

La composition de Nico Muhly, dirigée par Martyn Brabbins, et en dépit de sa richesse considérable, manque parfois de corps et d’orientation pour magnifier les états d’âme. Il s’agit sans nul doute d’une excellente partition, plus mature et originale que Two Boys, sa première création à l’English National Opera en 2011. Muhly a évolué, livrant ici une musique empreinte de son parcours, de style et de vision. Ces quelques défauts narratifs, scénographiques et musicaux relèvent le défi de ne pas se cannibaliser, et ne retirent en rien la qualité individuelle de chaque composante de l’œuvre.

Enfin, la distribution de la soirée s’avère de grande qualité. Dans le rôle titre, la mezzo Sasha Cooke brille par la pureté de son timbre et possède les nuances, le tranchant et la noirceur nécessaires pour sonder les profondeurs et les névroses du personnage. De la large distribution émergent les excellentes performances du baryton-basse Daniel Okulitch (Mark), puissant et attachant, et du merveilleux contreténor James Laing (Terry, le frère de Mark). Kathleen Wilkinson et Lesley Garrett campent d’inoubliables mères (respectivement de Marnie et de Mark), et distillent un peu d’humour dans cette histoire sombre et dramatique. Les vingt dernières minutes, quant à elles, prennent aux tripes, et permettent d’achever l’opéra sur une grandeur poignante.   

traduction libre de la chronique de Sam Smith

Marnie | Du 18 novembre au 1er décembre 2017 | London Coliseum

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