Une Norma en guise d'adieux à l'Opéra de Rouen Normandie

Xl_norma © Jean Pouget

Après huit années passées à la tête de l’Opéra de Rouen Normandie, Frédéric Roels tire sa révérence (la première ayant eu lieu la veille de la fin de son mandat) en signant une mise en scène de la célèbre Norma de Vincenzo Bellini. Avec son décorateur Bruno de Lavenère, il imagine – comme lieu de vie des gaulois – une vaste cavité souterraine surmontée d’un clapet soutenu par une forêt de poutres et percé en son centre par un immense oculus. Peu riche en action, c’est à travers cet « œil baladeur », pour reprendre les mots du metteur en scène dans ses notes d’intentions, que se déroulera une grande partie du drame, trou béant qui n’aura de cesse d’intriguer et de susciter l’imaginaire du spectateur. Pendant l’invocation à la lune (le fameux « Casta diva »), de manière un peu redondante peut-être, y apparaît progressivement une magnifique lune qui finira par occuper tout l’espace. Quand il n’est pas utilisé pour des projections vidéographiques, l’oculus laisse entrevoir trois danseurs qui sont les doubles des protagonistes, et dont les interactions chorégraphiques (signées par Dominique Boivin) viennent souligner les liens ou conflits qui (dés)unissent les trois personnages principaux du drame. Mentionnons également les poétiques et mystérieuses lumières de Laurent Castaingt, et avouons notre circonspection devant les costumes aussi hideux qu’hétéroclites conçus par Lionel Lesire.

A revers d’une certaine tradition, le rôle de Norma est ici confié à une mezzo et Adalgisa à une soprano, comme le souhaitait au demeurant le compositeur sicilien. Dans le rôle-titre, la mezzo roumaine Ruxandra Donose – qui interprétait, en juin dernier, celui d’Adalgisa à Genève – fait montre d’un superbe engagement scénique et parvient à résoudre la quadrature du cercle : rigueur classique et explosions de romantisme, lyrisme et virtuosité à la fois. La voix reste idéalement ronde sur tout le registre, sans fatigue perceptible, jusqu’aux splendides pianissimi de la scène finale qui la voit monter sur un bûcher, suivie de près par son amant. Dans le rôle d’Adalgisa, la soprano géorgienne Anna Kasyan n’impressionne pas moins, avec un chant sûr, superbe, orgueilleux et fier, alliant rondeur du son et arrogance du timbre. L’actrice n’est pas en reste, avec un feu intérieur qui fait mouche sur les spectateurs. En Pollione, le ténor wallon Marc Laho – magnifique Nadir à Liège en 2015 et Gaston (Jérusalem) dans cette même ville l’an passé – n’exhibe ni muscles convenus, ni aigus claironnants, ce qui nous change des ténors-hurleurs auxquels est systématiquement dévolue cette partie. Parfait de phrasé, de legato et de nuances, Laho conjugue de belle manière lyrisme et agilité. Avec un timbre profond qu’il évite néanmoins de trop solliciter dans le grave, la basse polonaise Wojtek Smilek campe un Oroveso moins monolithique que de coutume, tandis qu’Albane Carrère et Kevin Amiel font bonne figure en Clotilde et Flavio. Enfin, préparé par Christophe Grapperon, le Chœur de l’Opéra de Rouen Normandie (renforcé par le Chœur Accentus) apporte une contribution excellente au succès d’ensemble du spectacle.

Côté musique, dès les premières notes de l’ouverture, le chef italien Fabrizio Maria Carminati empoigne la partition à bras-le-corps : les allegro sont précipités et les adagio au contraire étirés. Les instrumentistes de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie répondent avec précision à cette conception très contrastée ; par leur virtuosité, ils redorent le blason d’une orchestration dont on a pu dire qu’elle était fruste. C’est ainsi que, tout au long de la soirée, le drame se déroule autant en fosse que sur scène !

Emmanuel Andrieu

Norma de Vincenzo Bellini à l’Opéra de Rouen Normandie (octobre 2017)

Crédit photographique © Jean Pouget

     

 

 

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