Le Théâtre du Capitole inaugurait sa saison avec un opéra fort peu connu d’Eugen d’Albert : Tiefland. Le naïf Pedro va vite découvrir et subir les affres de la plaine, sorte de Babylone dont il s’était jusqu’alors préservé dans sa solitude montagnarde. La description crue mais non sans poésie de cette réalité proposée par cette nouvelle production mise en scène par Walter Sutcliffe reste fidèle à l’esprit de l’œuvre originale Terra Baixa de l’écrivain catalan Angel Guimerà qui sert d’inspiration au livret et à la pièce musicale. Le hasard de la programmation trouvait un écho certain dans l’actualité contemporaine de l’autre côté des Pyrénées.

D’un point de vue musical, le prologue extrêmement soigné montre dès le début de la pièce le ton voulu par Claus Peter Flor. La clarinette introductive et son motif en quarte place une intrigue vivante mais mélancolique dont la couleur se trouverait à mi-chemin entre l’écrasant Wagner et la légèreté dvorakienne d’outre-Atlantique. Les berges s’interpelant d’un pic à l’autre vient presque troubler cette ambiance particulière alors que se retrouvent Pedro (Nikolai Schukoff) et Nando (Paul Kaufmann). Les parties purement instrumentales, qui sont les rares à prendre des accents hispaniques dans la composition, sont minutieusement négociées par le maestro et l’orchestre.

Le plateau vocal international ne pouvait qu’offrir au public l’assurance d’un moment plaisant. La libération psychologique de Marta passe par l’évolution progressive de ses interventions : repliée sur elle-même dans le prologue, la voix de Meagan Miller éclate avec force et virtuosité dans le deuxième acte. Markus Brück, incarnant le maître libidineux, calculateur et autoritaire de la région, Sebastiano, remplit parfaitement son rôle en particulier sur l’air « Hüll in die Mantille » peu avant le mariage forcé. Le trio d’Antonia, Pepa et Rosalia, femmes de la ville à la recherche du moindre potin mentionnant le malheur d’autrui, marque par son hétérogénéité malgré le bon jeu scénique de Sofia Pavone, Jolana Slavikova et Anna Destraël. L’innocente Nuri (Anna Schoeck) réalise de belles envolées mais peine tout de même à se faire entendre comme ses consœurs. Le retour de Scott Wilde sur les planches du Capitole ne passe pas inaperçu tant sa voix de basse jupiterienne révèle à merveille le rôle du vieux Tommaso. La voix de baryton de Moruccio, caractère porté par Orhan Yildiz, marque également le public malgré ses courtes interventions. Le chœur du Capitole, amené par Alfonso Caiani montre toujours la même compétence et polyvalence à la fois dans son intégration à la mise en scène et par le soin apporté à la réalisation musicale.

Si d’un point de vue visuel, le décor de Kaspar Glaner est également extrêmement soigné sur le prologue, il devient très vite - et très volontairement - pesant au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue. À partir de l’affleurement brut des flancs de collines initial, magnifié par les lumières de Bernd Purkrabek qui conduisent vers la quasi-obscurité, tout est fait pour faire ressentir la descente physique et psychologique de Pedro vers le monde « inférieur ». Ainsi on transite progressivement du lointain vers l’adjacent, de la nature vers la construction humaine, du bucolique à l’industriel, de la liberté à l’enfermement. Cette ouverture de la saison lyrique toulousaine était donc placé sous des auspices mesurés et nuancés.

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