Capitole de Toulouse : la bonne fortune de Tiefland

- Publié le 2 octobre 2017 à 12:15
Tiefland d’Albert
Le Théâtre du Capitole a ouvert sa saison avec le rare chef-d'œuvre d'Eugen d'Albert, défendu par un plateau sans faille et un orchestre porté sur les cimes par Claus Peter Flor.

Sur la vingtaine d’opéras composés par Eugen d’Albert (1864-1932), un seul a vraiment passé l’épreuve de la postérité, ce Tiefland dont le Capitole de Toulouse ose une nouvelle production pour son ouverture de saison. C’est l’histoire de l’éternel triangle amoureux, où le baryton cherche à troubler l’idylle du ténor et de la soprano. Mais il est aussi question de lutte des classes et d’opposition de valeurs, entre la pureté des espaces naturels et la perversion par l’argent. Car Pedro (le ténor) est un pauvre berger qu’un riche propriétaire terrien (Sebastiano, baryton) entend manipuler. Celui-ci fait aussi de Marta, une orpheline qu’il a jadis recueillie, son objet sexuel. Mais Pedro finira, dans une scène d’une violence inouïe, par assassiner Sebastiano, emmenant alors Marta dans ses chères Pyrénées (l’action est censée se passer en Catalogne), pour y vivre leur amour loin des compromissions de la basse terre (traduction littérale de Tiefland).

Kaspar Glarner a conçu pour le Prologue un beau décor de montagne, astucieux dans sa légèreté. Mais pour les deux actes qui suivent, le spectacle de William Sutcliffe s’est sans doute laissé contraindre par un dispositif unique qui bannit les changements d’atmosphère, sous-sol crasseux aux murs de béton, dont la turpitude caricature un peu trop l’univers de Sebastiano : ce n’est plus la basse terre, mais le bas-fond… Et fallait-il à tout prix actualiser le drame, qui se comprend dans un monde corseté par les conventions, guère dans une société où les femmes portent leggings et baskets ? Cela dit, les caractères résistent, par la force des incarnations.

Parsifal justement célèbre, Nikolai Schukoff est irrésistible dans le rôle de Pedro, cet autre innocent par qui le bien et la vérité adviennent, la blessure délectable du timbre n’empêchant pas quelques glorieux éclats d’acier quand la colère fait vaciller le personnage. Meagan Miller lui répond, mettant dans la passion hystérisante de Marta la fougue d’une valeureuse Sieglinde, et dans son récit du II, où elle raconte son enfance miséreuse (un des sommets émotionnels de l’opéra), un abandon bouleversant. Baryton percutant, tranchant, Markus Brück est un Sebastiano parfaitement détestable. Petits rôles distribués avec soin, parmi lesquels se distinguent Scott Wilde (le vieux sage Tommaso qui ne parviendra pas à éviter la catastrophe), Anna Schoeck (la jeune Nuri) et Paul Kaufmann (l’ami Nando).

Au pupitre, Claus Peter Flor pétrit la pâte toujours somptueuse de l’Orchestre du Capitole, sans négliger l’allure du drame ni la délicatesse de ses climats, exaltant les sortilèges mélodiques et harmoniques dont d’Albert a nourri sa partition, où s’entendent quelques influences wagnériennes coulées dans un métier tout en élégance sensible. Défendu avec tant d’égards, Tiefland s’affirme comme le plus attachant des chefs-d’œuvre.

Tiefland de d’Albert. Toulouse, Théâtre du Capitole, le 29 septembre.

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