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Tiefland de Eugen d’Albert à Toulouse – Altitude élevée – Compte-rendu

Très rarement représenté en France depuis sa création, en 1903, au Théâtre allemand de Prague, Tiefland (« Basses terres ») est un opéra d’autant plus passionnant qu’il est inclassable. Il est bien difficile en effet de lui donner une étiquette précise – post-wagnérien ? vériste ? symboliste ? – car il est un peu tout cela. Si l’on ajoute que son intrigue provient de Terra baixa, un drame réaliste de l’écrivain catalan Angel Guimerà (Madrid, 1896), il est évident que le qualificatif d’européen est celui qui lui convient le mieux. Né à Glasgow, dans une famille aux racines à la fois germaniques et françaises, son compositeur, Eugen d’Albert (1864 -1932), a été également un pianiste renommé (il fut élève de Liszt et de Tausig) et un remarquable pédagogue. Pour lui aussi les frontières trop étanches n’ont plus guère de signification.
 
C’est tout à l’honneur du Théâtre du Capitole d’avoir fait le choix d’un tel ouvrage, en prenant le risque de le programmer en début de saison devant un public qui, dans sa grande  majorité, s’engageait là en terrain inconnu. A en juger par les nombreux rappels au terme de cette première soirée, cette nouvelle production a conquis son auditoire. Ainsi mis en scène, dirigé et interprété, Tiefland s’affirme comme une œuvre lyrique de toute première importance. Jusqu’à un dénouement d’une rare violence, la tension dramatique ne faiblit pas.

© Patrice Nin

Visuellement déjà, le superbe travail théâtral de Walter Sutcliffe et de son équipe (décors et costumes de Kaspar Glarner, lumières de Bernd Purkrabek) permet de suivre au plus près l’évolution de l’intrigue. Pas de relecture alambiquée mais un respect scrupuleux du cadre géographique (opposition entre la pureté des cimes et les turpitudes des basses terres), de la psychologie des personnages et des clivages sociaux qui déterminent leurs actions. A la crête montagneuse se découpant sur le ciel, succède l’enfermement d’un local industriel. En regard des pieds nus et des vêtements frustes du berger, les couleurs vives et les lumières qui accompagnent son mariage n’apparaissent que plus illusoires. La direction d’acteurs tout comme la précision des détails scéniques ajoutent ainsi au chant un supplément indispensable de vérité et d’émotion.

© Patrice Nin
 
A la tête d’un Orchestre du Capitole toujours aussi fringant, capable de grandes envolées comme de très subtiles nuances, Claus Peter Flor sait mettre en valeur les multiples facettes de cet opéra. Pour cela, il peut s’appuyer sur une distribution vocale particulièrement pertinente. A la fougue, au rayonnement, à l’énergie sans bornes de Nikolai Schukoff, Pedro d’une rare crédibilité, répond le chant tourmenté et puissamment lyrique de Meagan Miller, Marta elle aussi fort convaincante. Tout au plus peut-on reprocher à cette excellente cantatrice américaine une prononciation allemande un peu moins parfaite que celle de ses deux principaux partenaires.
Sans jamais forcer le trait, Markus Brück exprime le despotisme et la passion ravageuse de Sebastiano, le maître des « basses terres ». Scott Wilde a l’autorité caverneuse qui convient au vieux Tommaso. Anna Schoeck dote le personnage de Nuri d’une voix charnue, lumineuse, alors que l’on attend généralement pour ce rôle un timbre plus immature. Qui songerait véritablement à s’en plaindre ? Les trois commères qui travaillent au moulin (Jolana Slavikova, Sofia Pavone, Anna Destraël) ainsi que Moruccio (Orhan Yildiz) et Nando (Paul Kaufmann) bénéficient également d’interprètes au talent incontestable.
 
Un mot enfin pour saluer la prestation du Chœur du Capitole. Toujours dirigé par Alfonso Caiani, il prouve une fois encore que les barrières de langue, de répertoire ou de style peuvent être franchies sans difficulté apparente lorsqu’on consacre à cela une discipline sévère et un engagement artistique sans cesse revivifié.
 
Pierre Cadars

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Eugen d’Albert : Tiefland - Toulouse, Théâtre du Capitole, 29 septembre ; prochaines représentations les 1, 3, 6 et 8 octobre 2017 / www.theatreducapitole.fr/1/saison-2017-2018/opera-674/tiefland-les-basses-terres.html
Diffusion sur France Musique dimanche 22 octobre 2017 à 20h
 
Photo © Patrice Nin

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