Opéra de Bordeaux : La Vie parisienne d’Offenbach sauvée par l’élégance de Marc Minkowski

- Publié le 26 septembre 2017 à 15:45
LA VIE PARISIENNE –  De Jacques OFFENBACH
Distribution inégale et spectacle décevant, pour ce premier spectacle de la saison lyrique bordelaise.

« Je reviens charmée, enivrée… » : ajouté comme dernier entracte à la version en quatre actes, le monologue de la Baronne exhale une poésie mélancolique où excelle Aude Extrémo. C’est aussi un des rares moments probants dans le spectacle incertain de Vincent Huguet, assez gauche dans son usage vertical de décors dont la tôle de zinc est reine, et qui, ne sachant sur quel pied danser, singe la manière de Laurent Pelly, sans avoir son timing ni son sel. La Vie parisienne de l’aîné (Opéra de Lyon, 2007) avait pourtant montré les limites d’une actualisation de « la moderne Babylone » tant la pièce dépend de mœurs défuntes. Qu’est-ce que le demi-monde, si le faubourg Saint-Germain se confond avec le Flore, si les clones de Karl Lagerfeld ou Sonia Rykiel figurent le grand monde ?

Jusqu’au dernier acte, prévisiblement situé dans un club branché avec backroom d’opérette et travesti incrusté (si c’est ça, la fournaise promise…), on cabote entre référence forcée à Jules et Jim (Métella entre deux, fausse piste), poésie pauvre et redondante sur les toits du Palais Garnier (« O beau nuage ») et vulgarités de sitcom (« le balai de l’Opéra de Paris » et pis encore). Le problème majeur est en effet la quasi éviction des dialogues parlés (les vestiges en sont réécrits dans le style « Ok, un mec super bizarre »), qui rend flous situations et personnages. Sentimentalisé ou épaissi, l’acte III en paie le prix, farce désossée de ses traits drolatiques. Métella devient une fille rudement à la mode, qui fait la gueule, sans joie d’ironie. Marie-Adeline Henry, contrainte, survolant le texte, échoue à en caractériser les airs.

Il faut dire que sans surtitrage on ne comprend souvent pas grand chose de ce qui se chante, et rien du chœur de l’Opéra de Bordeaux. Offenbach est décidément redoutable à prononcer, et Mathias Vidal (absent de la distribution dans le programme !) rate en beauté l’entrée du Brésilien SDF. L’ancienne école se perpétue avec Marc Barrard, impeccable en Baron, et Jean-Paul Fouchécourt (même élimé), mais Enguerrand de Hys parle, joue et chante Bobinet en jeune maître, quand le Gardefeu éteint de Philippe Talbot court mollement après le débit et la projection, servant du moins la beauté de son triolet élégiaque. Dommage pour les personnalités de Marie-Thérèse Keller (avec grand écart, chapeau) et d’Adriana Bignani Lesca, bornées aux bribes de Léonie et Louise.

Au sommet, la gantière d’Anne-Catherine Gillet évolue comme un poisson dans l’eau, mais qui chanterait avec un équilibre délectable entre chic et chien, et un tact extraordinaire dans le tour parodique, en harmonie en somme avec l’orchestre maison. Car l’élégance de Marc Minkowski n’amoindrit jamais la volupté tenace de la musique. La souplesse de son esprit rythmique (couplets du colonel) et sa domination de l’ensemble (« Tout tourne, tout danse », merveille) font vivre comme personne le coloris amphibie de l’œuvre, creusant l’écart avec les facilités du spectacle. Métella dirait qu’il y a pire que le faux amour : le faux champagne.

La Vie parisienne d’Offenbach. Bordeaux, Grand-Théâtre, le 23 septembre.

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