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Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg au Festival de Bayreuth –Imagination narrative – compte-rendu

Depuis quelques années, le Festival de Bayreuth s’est habitué à une remise en cause du culte des ancêtres dans l’esprit des tenants du Regietheater, aboutissant à des réalisations parfois contestables. Avec les Meistersinger imaginés par l’Australien Barrie Kosky – actuel intendant de la Komische Oper Berlin – le spectacle prend une autre tournure, d’autant que premier metteur en scène juif convié sur la Colline sacrée, il revendique haut et fort un droit à l’inventaire à partir des écrits antisémites de Wagner et des prolongements idéologiques que l’on connaît.

© Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Son imagination narrative éclate dès le Prélude au risque parfois de perturber l’écoute de la musique. L’acte I se situe dans le salon de la villa Wahnfried aux éclairages sépia où Wagner se comporte en despote vis-à-vis de sa famille et de ses invités. On pourrait être « Au Théâtre ce soir » dans une ambiance de comédie légère et humoristique, mais très vite les personnages historiques deviennent les acteurs de l’opéra. Wagner se transforme en Sachs, Cosima en Eva, le chef d’orchestre Hermann Levi en Beckmesser humilié parce que juif, Liszt en Pogner, et les enfants en Walther ou David. Une transposition virtuose et freudienne où le compositeur revit les différentes étapes de son existence. Au deuxième acte, le  pique-nique familial perd un peu de force d’impact malgré une bagarre de la Saint-Jean de haute volée où Beckmesser subit les derniers outrages, recouvert d’un masque sinistre puis d’un immense ballon gonflé à l’effigie du Juif Süss. Dans le décor du tribunal de Nuremberg à l’acte III, le concours de chant où comparaissent les protagonistes et la scène finale où Wagner dirige un orchestre pour mieux démontrer la victoire de l’art sur le dogmatisme ambiant et le racisme rampant font forte impression.

© Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

 
En tête d’une distribution très homogène, le Sachs de Michael Volle, outre une incarnation vocale de toute beauté, se glisse avec bonheur dans une direction d’acteur qui le met particulièrement en valeur, lui ôtant son allure bonhomme pour en faire un personnage capable de sortir de ses gonds face à l’inimitié des maîtres à l’égard de Walther. Klaus Florian Vogt fournit une interprétation du chevalier assez lisse à l’intonation mozartienne et non dénuée de subtilité. Splendide Beckmesser de Johannes Martin Kränzle qui évite de tomber dans la caricature, celle d’un Mime victime de la vindicte populaire ; servi par sa présence théâtrale, il transmet au personnage une sensibilité tout à fait inhabituelle. Le David ludique de Daniel Behle, en apprenti de Sachs qui tire les ficelles, réussit même, par sa ligne de chant, à damer le pion à Walther au moment de l’initiation. Anne Schwanewilms (Eva) sait compenser la légère altération de son timbre par un jeu sûr et juste. La Magdalene de Wiebke Lehmkuhl, par son émission puissante, envahit l’espace et montre une gaieté et un enthousiasme contagieux. Sortis d’une toile de Brueghel et bien identifiés, les Maîtres forment une troupe haute en couleur aux costumes chamarrés (créés par Klaus Bruns). Se détache le Pogner chaleureux et profond de Günther Groissböck très sollicité et quelque peu fatigué à la fin ; il faut d’ailleurs saluer l’engagement de chaque personnage (le pelletier de Tansel Akzeybek, l’épicier de Christopher Kaplan, le ferblantier de Armin Kolarczyk, l’étameur de Paul Kaufmann, tous autant acteurs que chanteurs). Karl-Heinz Lehner, lors de ses courtes apparitions, se révèle un poétique veilleur de nuit.  

Philippe Jordan © Jean-François Leclercq / Opéra national de Paris

Depuis la production des Maîtres à l’Opéra Bastille (1), Philippe Jordan a gagné en assurance, conduisant l’Orchestre du Festival de Bayreuth, toujours aussi splendide, de manière fluide et de claire, avec la volonté de mettre en valeur toute la richesse d’une partition complexe et foisonnante comme s’il s’agissait de musique de chambre, dégageant tous les arrière-plans des voix intermédiaires (les altos, les bois…). Il en ressort une vision raffinée qui s’écarte de la tradition d’épaisseur que nombre de chefs ont perpétuée. Les chœurs préparés par Eberhard Friedrich possèdent toujours la même aisance et cette cohésion qui rendent, dans une acoustique de rêve, le voyage à Bayreuth incomparable. Bien accueillis par le public, ces Maîtres – malgré quelques huées adressées au metteur en scène – marquent incontestablement un moment fort dans l’Histoire d’un festival qui garde la capacité de se renouveler.  
 
Michel Le Naour

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(1) www.concertclassic.com/article/les-maitres-chanteurs-lopera-bastille-pur-enchantement-compte-rendu
 
Wagner : Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg - Festival de Bayreuth, Festspielhaus, 27 août 2017
 
Photo © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath
 

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