Lakmé au Grand-Théâtre de Tours : une prise de rôle très réussie pour Jodie Devos !

Xl_lakme © Marie Petry

C’est une bonne idée qu’a eu l’Opéra de Tours de reprendre la production de Lakmé de Léo Delibes conçue par Paul-Emile Fourny pour son théâtre de Metz en 2013 (en coproduction avec le théâtre de Bonn). Le metteur en scène belge propose une vision forte, intelligente et sensible de ce drame hindou. Sa mise en scène, qui respecte l’époque et le lieu, est marquée du sceau de la rigueur et possède une réelle efficacité dramatique. Au sein d’un magnifique décor (unique) constitué par des parois ajourées d’une claustra, très orientalisant, Fourny évacue pourtant tout folklorisme excessif ou toute surcharge inutile pour recentrer sur la vérité des personnages et sur la sincérité de leurs sentiments, mais aussi sur les thèmes essentiels (dans l'ouvrage) que sont l’intolérance religieuse et la pression exercée sur les femmes : Lakmé ne meurt pas en s’empoisonnant avec une feuille de datura, comme le veut le livret, mais on voit ici Nilakantha la voiler puis la cloitrer, offrant l'alternative d'une mort plus symbolique…

Chantant pour la première fois à la scène un rôle qui passe pour léger et ne l’est point, qui exige certes le contre-Mi mais aussi un vrai médium, la jeune soprano belge Jodie Devos – acclamée la saison passée dans le rôle de Rosina à l’Opéra Royal de Wallonie – démontre ce soir qu’elle ne craint aucune comparaison avec ses rivales du moment sur le terrain de la technique, de l’agilité, du legato ou de la finesse musicale. Sa Lakmé possède tout cela plus une assurance nouvelle en scène. Du soprano leggero des deux premiers actes, au lirico du troisième, elle sait doser son émission, l’élargir raisonnablement de la manière la plus exemplaire. Une prise de rôle réussie qui lui vaut un triomphe personnel (et mérité) aux saluts. Le jeune ténor bordelais Julien Dran, souffrant l’avant- veille, revient en pleine forme pour incarner un héros sensuel, à la diction claire et impeccable, capable de piani langoureux (superbe « Fantaisie, ô divins mensonges » !), et de cette tension dans l’émission qu’exige ce rôle « mixte ». Les éclats passionnés du personnage n’en passent pas moins la rampe, grâce à la formidable projection du timbre. Pour dire vrai, l’élan juvénile de son Gérald, allié à la fragilité touchante de la Lakmé de Jodie Devos nous offre une bouleversante scène finale (« Tu m’as donné le plus le plus doux rêve »). De son côté, avec son timbre corsé et opulent, Majdouline Zerari convainc dans le rôle de Mallika, notamment dans le duo du I, où la mezzo franco-marocaine trouve des accents sensuels et abandonnés. Quant au Nilakantha de Vincent Le texier, glaçant Golaud à l'Opéra de Lyon il y a deux ans, il impressionne par la puissance et la projection, la riche couleur sombre et l’autorité de la voix. Enfin, une mention pour la despotique Mistress Bentson de Anna Destraël, l’élégant Frédérick de Guillaume Andrieux, la mutine Ellen de Jennifer Courcier, l’espiègle Rose de Yumiko Tanimura, et le Hadji tendre et protecteur de Carl Ghazarossian.

Dernier bonheur de la soirée – et pas le moindre – la direction superlative du nouveau directeur musical (et général) de la maison tourangelle, Benjamin Pionnier, qui prend très au sérieux une partition extrêmement riche en surprises harmoniques, dont il sait magnifiquement exalter les coloris et le lyrisme, en évitant toute convention ou emphase malvenues.

Emmanuel Andrieu

Lakmé de Léo Delibes à l’Opéra de Tours (janvier 2017)

Crédit photographique © Marie Petry
 

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