About us / Contact

The Classical Music Network

Strasbourg

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Angoisses en gris glacial

Strasbourg
Opéra national du Rhin
09/21/2016 -  et 23*, 25, 27, 30 septembre (Strasbourg), 7, 9 octobre (Mulhouse) 2016
Benjamin Britten : The Turn of the Screw, opus 54
Nikolai Schukoff (Le Narrateur, Peter Quint), Heather Newhouse (La Gouvernante), Anne Mason (Mrs Grose), Cheryl Barker (Miss Jessel), Lucien Meyer (Miles), Sylvia Paysas (Flora)
Orchestre symphonique de Mulhouse, Patrick Davin (direction)
Robert Carsen (mise en scène, décors, costumes, lumières), Maria Lamont et Laurie Feldman (réalisation de la mise en scène), Luis Carvalho (décors, costumes), Peter Van Praet (lumières), Finn Ross (vidéo)


(© K. Beck)


A l'occasion de cette production du Tour d’écrou de Britten, créée au Theater an der Wien en 2011, Robert Carsen s’est risqué aussi à concevoir seul ses décors, une fonction qui lui est moins coutumière. Avec pour résultat un projet non seulement aussi uniciste que la plupart de ses travaux habituels, mais encore teinté d’un rien de monotonie en plus : une gageure toute en camaïeu de gris, avec à chaque tableau un banal coin de pièce neutre qui vient en remplacer un autre. Dans ces lieux pauvres en meubles, dont les portes et fenêtres donnent invariablement sur des bouts de paysage eux-mêmes grisâtres, l’enfermement des acteurs est d'emblée total, ce qui convient bien à un ouvrage fondé sur une angoisse quasi permanente mais fait aussi l'impasse sur toute détente possible (notamment la scène 2 de l'acte Il, moment de pittoresque anglais brittenien pourtant très attendu, ici complètement gommé). Au fil de ces tableaux pensés comme de brefs plans cinématographiques, les personnages peinent à se construire, voire tournent en rond. Comme si un dépouillement aussi drastique les figeait définitivement dans un schéma établi d'avance, avec pour seule issue possible l'approfondissement d'une névrose toujours plus accaparante et pathologique.


On peut faire confiance à Robert Carsen quand il s'agit de transcender les carcans dans lesquels il s’est lui-même enfermé, mais cette fois encore l'ouvrage traité y perd en relief et surtout en potentiel d’émotion. Le personnage clé de la gouvernante, complètement déconstruit et flottant, ne suscite plus guère de sympathie, pas davantage d’ailleurs que les deux enfants dont on lui a confié la garde, sournoisement figés dans une attitude de rébellion latente. L’affectivité de cette sinistre histoire paraît bien davantage palpable du côté des deux fantômes, Peter Quint et Miss Jessel, ce qui n’est pas forcément un contresens mais définit quand même des limites beaucoup trop manichéennes entre deux mondes pourtant appelés à se mélanger. Le spectateur s’installe très vite dans des repères qui ne varieront plus, jusqu’à un drame final qui paraît tellement écrit d’avance que Carsen le ritualise comme un cérémonial froidement distancié, avec trois personnages très éloignés les uns des autres et dont l’un (le petit Miles) est déjà devenu le sosie miniature de l’autre (Peter Quint).


Curieusement, alors même que dans son projet Carsen revendique un constant flou, il nous livre en fait beaucoup trop de clés d’interprétation qui vont banaliser voire aplatir les perspectives. En particulier la scène 8 de l’acte l, passage onirique développé de façon très virtuose, révèle de façon ouvertement explicite ce qui a pu se passer entre les deux enfants et leurs défunts "éducateurs". Laisser chacun imaginer un pire hypothétique serait diablement plus efficace, et autant Britten que Henry James, auteur de la nouvelle d’origine, se sont d’ailleurs bien gardés de donner trop de précisions sur le sujet. De même que couper d’un entracte un ouvrage aussi dense constitue un véritable impair, bien que peut-être excusable du fait de la lourdeur technique de cette production, simple en apparence mais dont les variations de dispositif requièrent une quinzaine de machinistes. Ces impératifs techniques imposent aussi de très systématiques fermetures de rideau entre chaque scène, à l’origine d’une impression de morcellement agaçante, ou du moins nettement plus tangible que dans la plupart des productions de l’ouvrage que l’on a pu voir ailleurs.


Heureusement la force de la musique de Britten reste intacte, avec en particulier cette constante sensation d’étau serrant toujours un peu plus fort qui est l’une de ses caractéristiques les plus singulières. Mais à chaque tour de vis supplémentaire, donné au cours des interludes à rideau fermé, on apprécierait des timbres moins raides et acides que ceux de l’Orchestre de Mulhouse, dont les stridences n’obtiennent que rarement les effets d’envoûtement souhaitables. Patrick Davin a beau s’impliquer beaucoup physiquement, ce Britten-là manque vraiment de ductilité, voire, tout simplement, de classe.


Distribution d’un impact un peu décevant aussi, parce que peu mise en valeur par la mise en scène, mais pas seulement. Réduite à une présence en filigrane sans vrai tempérament, en gris sur fond gris, Heather Newhouse n’a plus grand chose de passionnant à nous proposer pour nous faire oublier ses problèmes de timbre dont le tranchant s’effiloche dans l’aigu. On apprécie davantage le personnage plus entier et simple de Mrs. Grose, sainement interprété par Anne Mason. En couple de spectres, Cheryl Barker et Nikolai Schukoff réussissent paradoxalement à s’imposer avec bien davantage de force, même si ni elle ni surtout lui ne disposent des voix britteniennes très spécifiques attendues. Quant aux enfants, ce sont ce soir-là les jeunes Lucien Meyer et Sylvia Paysas qui complètent efficacement l’ensemble, mais sans réveiller non plus de frisson particulier.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com