"Amleto" de Faccio, à l’ombre de Verdi

Jubilé Shakespeare : redécouverte d’un superbe "Hamlet" de 1865.Nicolas Blanmont Envoyé spécial à Bregenz

Nicolas Blanmont
"Amleto" de Faccio, à l’ombre de Verdi

Jubilé Shakespeare : redécouverte d’un superbe "Hamlet" de 1865.Nicolas Blanmont Envoyé spécial à Bregenz Si Franco Faccio (1840-1891) passa très discrètement à la postérité, c’est uniquement parce que, directeur musical de la Scala de Milan, il lui revint notamment de diriger la première italienne de "Aida" ainsi que la création de l’"Otello" de Verdi. Mais qui se souvient qu’il fut aussi compositeur ? Or, Faccio avait lui-même signé deux opéras, dont un formidable "Amleto" récemment exhumé aux Etats-Unis et que le Festival de Bregenz vient de réhabiliter superbement en cette année de commémorations du quatre-centième anniversaire de la disparition de Shakespeare.

De vraies pages d’anthologie

Créé à Gênes en 1865, repris une seule fois à la Scala en 1871, "Amleto" se révèle un véritable chef-d’œuvre, servi par un excellent livret d’Arrigo Boito (librettiste des deux derniers opéras shakespeariens de Verdi, "Otello" et "Falstaff") et par une musique de premier plan. Faccio n’était pas qu’un petit maître et il eût sans doute pu marquer l’histoire de la musique s’il n’avait abandonné l’écriture. Peut-être parce que Verdi - qui confessa pourtant son admiration pour son jeune collègue - régnait trop puissamment sur son temps, comme un arbre si large qu’il rend impossible la croissance de tout autre.

A Bregenz, on découvre un ouvrage intelligemment construit, avec un rôle-titre exceptionnel mais avec aussi une véritable substance pour les "seconds" rôles qui expriment leurs tourments dans des pages musicales riches elles aussi : Ophélie bien sûr, mais aussi Laërte ou encore le couple usurpateur de Claudius et Gertrude. "Amleto" compte de vraies pages d’anthologie : vocales bien sûr (le monologue "être ou ne pas être", la scène de folie d’Ophélie, les remords de la Reine…) mais aussi orchestrales, comme la musique funèbre pour Ophélie - qui connut d’ailleurs un certain succès comme page autonome.

On rêve d’un CD ou d’un DVD

Le chef italien Paolo Carignani dirige l’Orchestre symphonique de Vienne avec une conviction contagieuse et le soin qu’on réserve aux meilleures œuvres, et la distribution est de premier plan : le ténor tchèque Pavel Cernoch (qui fut le Prince dans "Rusalka" à la Monnaie) campe un Hamlet tour à tour autiste et halluciné, et le reste du plateau, bien qu’inconnu, est à l’avenant. De son côté, Olivier Tambosi signe une mise en scène classique mais jamais poussiéreuse, réussissant scènes de foules et moments intimistes, forte d’une véritable direction d’acteurs mais aussi de très beaux décors, des lumières splendides et des costumes d’époque légèrement décalés (des yeux immenses y sont brodés).

Plus que le "Hamlet" d’Ambroise Thomas, cet "Amleto" restitue toute la puissance de l’œuvre shakespearienne. En levant le voile, au passage, sur une période de la musique italienne - entre les derniers opéras de Donizetti et les premiers véristes - largement occultée jusqu’ici. A défaut de reprises, on rêve d’un CD ou d’un DVD pour immortaliser le spectacle.

Rens. www.bregenzerfestspiele.com

Bregenz côté pile

Le festival de Bregenz est bien sûr connu pour ses productions d’opéras en plein air et la fameuse scène sur le lac de Constance. Cet été, on retrouve ainsi la "Turandot" de Puccini applaudie l’an dernier ("La Libre" du 18 août 2015), et "Carmen" est annoncée pour 2017 et 2018. On joue en principe presque par tous les temps mais, quand les cieux ne sont vraiment pas de la partie, le spectacle se poursuit dans une salle couverte, adossée au théâtre du lac et qui, dès lors, regarde la montagne - fût-ce sans la voir. C’est pour mieux rentabiliser cet espace que, depuis plusieurs années, le festival de Bregenz propose en contrepoint aux blockbusters lyriques de la scène lacustre des opéras beaucoup plus rares, qui reçoivent tous les moyens d’une véritable production. On y a vu ainsi par exemple, avant l’"Amleto" de Faccio, "Die Passagierin" de Weinberg, "Krol Roger" de Szymanowski, "Maskarade" de Nielsen, "Of mice and men" de Carlisle Floyd ou même des créations de nouveaux ouvrages.

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