Le héros Ariodante, vassal du roi d’Ecosse, est promis à sa fille Ginevra. Trompé par le jaloux Polinesso, il la croit infidèle. Désespéré, il disparaît tandis que la jeune fille est condamnée à mort, avant que les manigances de Polinesso ne soient découvertes, le traitre puni et les amants réunis. Créé en 1735, Ariodante constitue le premier triomphe de Haendel dans le théâtre flambant neuf de Covent Garden.

« Si un homme commet un adultère avec une femme mariée, s'il commet un adultère avec la femme de son prochain, l'homme et la femme adultères seront punis de mort. » Cette citation du Lévitique, couplée à une scène particulièrement crue de pendaison, annonce la couleur dès le premier tableau : du livret inspiré de l’Orlando furioso de l’Arioste, le metteur en scène Harry Fehr a retenu toute la noirceur, loin de l’adaptation légère qu’en fera Shakespeare dans Beaucoup de bruit pour rien. Avec son collègue de longue date Yannis Thavoris aux décors, Harry Fehr s’accommode d’un budget restreint et situe l’intrigue dans une province nordique régie par une tradition chrétienne rigoriste. Une Ecosse beyond the Wall, aux frontières de la civilisation, où le mariage est investi d’une dimension politique et où « l’honneur féminin » est une obsession. La virginité d’une promise constitue un enjeu diplomatique qui fait ou défait des alliances et brise les destins individuels. Dans cette société patriarcale, la parole de Ginevra ne vaut rien face à la diffamation invérifiée d’un soupirant éconduit.

Cette première d’Ariodante, le plus écossais des opéras de Haendel, au Scottish Opera, promettait d’être une immense soirée. Las, c’était sans compter une fosse à la peine, sous la direction déstructurée et sans vision de Nicholas Kraemer. Les cordes manquent de liant et peinent à se poser proprement sur des basses molles et sans rebond. Les airs les plus vifs (cf. le très syncopé « Dopo notte ») semblent pris dans la glu.

Un tapis sonore somme toute bien inconfortable pour le plateau soliste, par ailleurs réjouissant. La mezzo-soprano Caitlin Hulcup est un Ariodante superbe, à l’agilité sans faille et au timbre cuivré, qui n’est pas sans rappeler la couleur d’une certaine Lorraine Hunt-Lieberson. L’actrice est d’une crédibilité confondante dans ce rôle en pantalon. On sent dans sa démarche un travail minutieux d’assimilation de la gestuelle masculine : on s’y tromperait presque. Au héros outragé, la mise en scène préfère l’homme brisé : son « Scherza infida » est un grand moment, peut-être aussi parce que, l’espace de quelques minutes, la fosse et le plateau semblent s’entendre. « Dopo notte » accuse une petite fatigue dans l’aigu ? Qu’importe. Cet Ariodante a bien failli faire de l’ombre à sa partenaire Ginevra (la soprane Sarah Tynan), pourtant en grande forme ce soir : un chant souverain jusque dans les contre-notes, et une incarnation de l’amante calomniée subtile et sans mièvrerie. Face à elle, la Dalinda de Jennifer France n’est pas en reste : le timbre est ravissant, l’italien impeccable (mention pour les coloratures du redoutable « Neghittosi or voi che fate »).

On adore détester le très vilain Polinesso de l’agile contre-ténor Xavier Sabata, dont l’émission se matifie cependant au cours de la soirée, avec un peu d’air sur le son. L’ardent Lurcanio d’Ed Lyon, au phrasé baroque impeccable, accuse parfois un petit durcissement dans l’aigu. Solide Roi du baryton-basse Neal Davies. On aimerait en dire autant de l’Odoardo de Richard Edgar-Wilson, à la voix instable et nasillarde. Enfin, beau son d’ensemble pour le chœur, sous la direction d’Oliver Rundell. Une belle soirée, malgré quelques coupes malheureuses, pour ne citer que le « Volate amori » de Ginevra et le « Con l’ali di costanza » d’Ariodante. 

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