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La Voix humaine de Poulenc et L’Heure espagnole de Ravel à l’Opéra de Tours – Femmes captives – Compte-rendu

Le trait d’union qui relie La Voix humaine de Poulenc (1957) et L’Heure espagnole de Ravel (1911) présentés à Tours ne tombe pas immédiatement sous le sens. La metteuse en scène (et cantatrice) Catherine Dune voit dans ces deux pièces l’enfermement volontaire de deux femmes retenues captives alors qu’elles pourraient se libérer soit de leur obsession, soit de leur mari. Quoiqu’il en soit, l’association de la tragédie lyrique de Cocteau et de la farce burlesque de Franc-Nohain combine des univers contrastés ; le monologue tendu du huis clos le disputant à la parodie débridée d’un XVIIIe siècle espagnol réinventé.
 
Le décor minimal de La Voix humaine, que signe Elsa Ejchenrand, se réduit à un grand lit retenu par des cordes qui disparaissent progressivement pour laisser place à la nudité d’un ring où le seul personnage, « Elle », évolue avec un téléphone mains-libres. La soprano Anne-Sophie Duprels livre une performance tant théâtrale que musicale, se lovant dans les états d’âme les plus variés avec une aisance naturelle, préférant parfois aux éclats vocaux une forme de parler-chanter que l’on n’a pas l’habitude d’entendre dans ce rôle si exposé. Son engagement et l’émotion qu’elle dégage participent d’une véritable identification à la douleur de cette femme abandonnée.
 

© François Berthon

Changement d’atmosphère avec L’Heure espagnole : des mobiles composés de sacs se vident comme des sabliers, et les horloges suspendues ponctuent le temps. Aude Extrémo est une Concepcion d’un érotisme à fleur de peau à la diction parfaite et au registre large y compris dans les aigus bien projetés. Alexandre Duhamel, muletier et amant presque malgré lui, crève l’écran par sa caractérisation d’un Ramiro bonhomme au chant subtil d’une clarté toute française. Florian Laconi manifeste des moyens superlatifs et puissants en Gonzalvo, et Didier Henry l’assurance d’un baryton-basse sûr de ses effets en Don Inigo Gomez. Le Torquemada d’Antoine Normand, mari cocu « régulier et périodique », voix de trial, confirme une nouvelle fois ses qualités innées de comédien.
 
Direction d’une rare élégance de Jean-Yves Ossonce qui sait dégager tout le pouvoir d’émotion de la musique de Poulenc, enchaînant les courts motifs sans perdre de vue à travers les silences et les moments de lyrisme la continuité du monologue de La Voix humaine. La virtuosité d’écriture de L’Heure espagnole de Ravel est servie par l’Orchestre Symphonique Région Centre –Tours concentré, sensuel et ludique sous une baguette stylée qui se joue avec délices de l’hispanisme au second degré de cette pochade à la complexité horlogère. Une nouvelle pierre à l’édifice des heureuses productions de la maison d’opéra tourangelle qui ne cesse d’enchanter par son esprit inventif.
 
Michel Le Naour
 
Poulenc : La Voix humaine / Ravel : L’Heure espagnole - Tours, Grand Théâtre, 14 avril 2015
 
Photo © François Berthon

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