Journal

Tristan et Isolde à l’Opéra national de Bordeaux – Une intense sobriété – Compte-rendu

Favorable tant à la voix qu’à l’équilibre entre le plateau et la fosse, le nouvel Auditorium de Bordeaux impose au metteur en scène d’imaginer un dispositif adapté à un lieu n'offrant pas les mêmes possibilités techniques qu’un théâtre lyrique. Giuseppe Frigeni, qui a précédemment signé un Macbeth, un Lohengrin et un Fidelio au Grand Théâtre, se révèle parfaitement à la hauteur de l’enjeu : son intelligente scénographie suggère une portion de navire (le public se situerait à la poupe de celui-ci) avec de grands hublots de chaque côté, au 1er acte. Décor unique qui se réagencera d’habile façon pour faire face aux besoins des deux volets suivants.
 
Longtemps assistant de Robert Wilson, Frigeni signe un Tristan à l’évidence très marqué par l’esthétique de ce dernier. Sobriété, hiératisme, dominante de lumières bleutées : laissant à d’autres les élucubrations en tous genres si souvent infligées à Wagner, le metteur en scène prend le parti de laisser parler le drame, sans aucune surcharge. Compte tenu du niveau des forces en présence, il en résulte un spectacle d’une intense et envoûtante sobriété d’où la musique sort gagnante.
 
Commençons par saluer le travail accompli par Paul Daniel à la tête de son Orchestre national Bordeaux Aquitaine. Ceux qui n’auraient pas suivi l’évolution de la formation depuis que le chef l’a prise en main à la rentrée 2013 n’ont pu qu’être surpris par la tenue de sa prestation tout au long de la soirée. Ce premier Tristan intégral de Daniel confirme les évidentes affinités du maestro britannique avec l’univers wagnérien. Pas une chute de tension : on est admiratif de sa manière de relancer en permanence le discours, de sonder le tissu orchestral, de traduire son énergie interne, tout en gardant l’élan, le sens de la grande ligne et en restant continûment attentif au plateau, jamais écrasé par les déploiements orchestraux. (Au passage bravo au cor anglais d'Isabelle Desbats pour son solo du III.) A quand un Parsifal à l’Auditorium ?...
 

© Frédéric Desmesure
 
Autant dire que dans ces conditions la distribution réunie par l’Opéra de Bordeaux peut donner le meilleur d’elle-même. Appelé quelques jours avant la première en remplacement de Christian Voigt, souffrant, l’Américain Erin Caves s’est adapté aux circonstances et aborde son rôle avec une intelligence musicale où se lit une grande expérience de la scène. Savoir ménager ses forces… Un brin en retrait au départ, son Tristan gagne peu à peu en ampleur, et après avoir affronté avec aplomb les défis du II, émeut in fine par une incarnation aussi intensément vécue que dépourvue d’effet. A ses côtés, Alwyn Mellor retrouve un rôle qui lui est familier (tout comme celui de Brünnhilde). Son Isolde, qui pouvait de prime abord sembler un brin monolithique, se nuance et s’enrichit au fil de la représentation jusqu’à la somnambulesque apparition qui précède le Liebestod.
 
Quand au reste de la distribution, il ne mérite qu’éloges. Longtemps on gardera en mémoire les fabuleux appels de Brangäne, perchée dans les hauteurs du fond de scène, d’une Janina Baechle au meilleur de son art – et quel ! Au moment des applaudissements, le public ne s’y trompe pas... Pas plus que pour le Marke de Nicolas Courjal : voix d’une beauté et d’une richesse admirables mais continûment guidée par le souci du phrasé et le désir de cerner au plus près la psyché du roi. La prise de rôle du Français valait à elle seule le déplacement à Bordeaux.
Brett Polegato signe un très beau Kurwenal, plein d’humanité, tandis que Guillaume Antoine(Melot), Simon Bode (Le Berger et le Jeune Matelot) et Jean-Marc Bonicel (Le Pilote) se montrent, tout comme les chœurs préparés par Salvatore Caputo, pleinement à la hauteur d’une production qui fera date dans les annales de l’Opéra de Bordeaux.
 
Retour à l’écrin XVIIIe du Grand Théâtre le mois prochain (du 18 au 26/04) et changement total de répertoire puisque l’on y découvrira Dardanus de Rameau, mis en scène par Michel Fau et dirigé par Raphaël Pichon à la tête de son ensemble Pygmalion.
 
Alain Cochard
 
Wagner : Tristan et Isolde – Bordeaux, Auditorium, 26 mars, prochaines réprésentations les 1er, 4 et 7 avril 2015 / www.opera-bordeaux.com
 
Photo © Frédéric Desmesure

Partager par emailImprimer

Derniers articles