Chroniques

par bertrand bolognesi

Der Rosenkavalier | Le chevalier à la rose
opéra de Richard Strauss

Magyar Állami Operaház, Budapest
- 5 juin 2014
Jun Märkl joue Der Rosenkavalier, opéra de Richard Strauss, à Budapest
© szilvia csibi

Il y a cent-cinquante ans naissait à Munich un certain Richard Strauss qui rapidement fit parler de lui… Depuis la fin du mois de mai, l’Opéra national Hongrois (Magyar Állami Operaház) concentre sa programmation sur l’œuvre lyrique du compositeur bavarois en reprenant des productions « de répertoire » et en créant de nouvelles mises en scène. Ainsi le printemps pestois offre-t-il Salome, Arabella, Ariadne auf Naxos, Die Frau ohne Schatten, Elektra (que nous y verrons le soir même de la naissance du maître) et ce Rosenkavalier, apprécié dans la réalisation d’Andrejs Žagars.

L’artiste letton ouvre le rideau sur un intérieur Szecesszió d’élégante facture, arborant grande verrière opaline, escalier à rampe chantourné, discrète frise murale vieil-or sur fond garance. Voilà qui situe d’emblée la représentation dans le temps de l’œuvre plutôt qu’en ce XVIIIe siècle qu’elle évoque et invite adroitement à méditer la toute straussienne nostalgie d’un hier idéalisé. Par une direction d’acteurs précise, Žagars habite avantageusement le dispositif dont seul change le mobilier, à l’acte médian, pour signifier les salons de Faninal. La grande surprise de la production reste l’effondrement des valeurs, puisque le décor (Julia Müer) se couche sur le côté pour le dernier acte. La verrière forme mur en cour, avec ses « sonneurs » aus der Ferne en ombres chinoises ; des trappes infernales déjouent les lois de la pesanteur, la lumière s’oublie sur la touche – le grand lustre git au sol en molle dépouille du confort. Tout finira par rentrer dans l’ordre, on le sait, mais par un curieux arrangement traversé d’un tour de passe-passe où la morale est absente.

Cette nostalgie pointée par la scénographie saisit l’oreille dès les premières mesures. Bien que fort tonique, le Vorspiel ménage une sonorité délicate, « vieux style », pour ainsi dire, un peu brisée. La vie prend le dessus pendant le dialogue des amants, soutenu par une fosse luxueusement colorée. Le petit-déjeuner gagne un frémissement facétieux, quand le quatuor de bois éclaire chaleureusement la scène, conclue dans la grâce précieuse de la valse. Arrive Ochs : le ton change, la vulgarité de l’intrus envahissant génialement les moyens d’expression. Jun Märkl mène un Acte II ingénieusement « ronflonflon », jusqu’à la présentation de la rose, d’un cristal indiciblement pur. La virevolte des entrelacs de bois qui redoutablement ouvre le III est proprement admirable, ce soir, dans cette interprétation minutieuse et inspirée. Les musiciens de la Magyar Állami Operaház conjuguent habilement leurs talents, sous l’impulsion d’une baguette attentive, à la faveur d’une ciselure exceptionnelle. L’énergie faussement légère de la farce mène ses contrastes jusqu’à l’apaisement final – superbe.

Un plateau vocal équilibré vient sceller ce Chevalier à la rose parmi les plus satisfaisants qu’il nous fut donné de voir. Zoltán Kelemen s’affirme efficace Faninal, tandis que la Marianne généreusement projetée de Mária Temesi fait grand effet. Seule Júlia Hajnóczy laisse un peu sur sa faim : sa Sophie commence dans un Lied au charme désuet mais ne tient pas ses promesses sur la suite. Le couple principal s’avère complice et de format exemplaire, avec Viktória Mester en Quinquin d’abord prudent puis de plus en plus présent (sa Mariendel est exquisément sotte) et la Bichette convaincante d’Éva Bátori, émission souple et grande voix au souffle inépuisable doublées d’une présence simple et dense. On retrouve le grand Kurt Rydl en Ochs – un baron dont le grand chanteur jamais ne force le trait et dont il mène la partie avec grande facilité, ancrée dans un métier de plus de quarante ans de carrière.

BB