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Anna Bolena de Donizetti à l’Opéra national de Bordeaux – Retour en grâce d’un chef-d’œuvre belcantiste – Compte-rendu

Anna Boléna au Grand Théâtre de Bordeaux

 Anna Bolena de Donizetti à l’Opéra national de Bordeaux – Retour en grâce d’un chef-d’œuvre belcantiste – Compte-rendu
 
Alors que Paris ignore ostensiblement la Bolena de Donizetti (merci au TCE de l’avoir programmée en concert en 2009 avec la farouche Ermonela Jaho), Bordeaux vient de s'y risquer avec courage, malgré les difficultés inhérentes à une telle entreprise. L'ouvrage créé au Teatro Carcano de Milan en 1830 par un trio de rêve - Giuditta Pasta, Filippo Galli et Giovanni Battista Rubini - est un succès mais sombre pourtant dans l'oubli, jusqu'à ce que Maria Callas s'empare du rôle-titre à la Scala en 1957, magnifiée par Visconti et Gavazzeni. Premier opus de la Trilogie Tudor, avec Maria Stuarda et Roberto Devereux, Anna Bolena appartient à ces opéras aux casts impossibles qui exigent en plus d'un soprano d'exception, une basse, un ténor et une mezzo de grande qualité.
 
Sans être parvenu entièrement à relever ce défi, l'Opéra de Bordeaux a fait confiance à de jeunes artistes valeureux voire prometteurs. L'entreprise aurait certainement gagné en crédibilité si elle avait été confiée à un chef véritablement compétent, or Leonardo Vordoni n'a que de vagues notions de style, sa direction insensible et sans grâce, dénuée de toute souplesse et du moindre legato n'offrant qu'une idée fort éloignée de la flamme donizettienne. La metteuse en scène, librettiste et dramaturge Marie-Louise Bischofberger, proche de Luc Bondy, dont elle partage les univers épurés et les images stylisées pour mieux se concentrer sur les rapports humains, réalise un spectacle sobre et soigné où se lit la détresse d'une héroïne vouée à la trahison d'un homme qui lui préfère son amie et rivale. Cette adepte de Pinter, Duras, Bergmann et Botho Strauss s'intéresse avant tout aux destins croisés de deux femmes (celui de la première, séduite et repoussée, détermine celui de la seconde, amoureuse à son tour du Roi mais prise de compassion pour la répudiée), de deux victimes du pouvoir qui les attire tant.
 
Plateau quasiment nu, ouvert de travers sur des lointains brumeux, lumières venant tamiser de mystérieuses transparences peuplées d'oiseaux angoissants, la scénographie d'Erich Wonder concourt à rendre les derniers instants de la vie de la Reine tragiques et oppressants. Avec un timbre peu flatteur et une technique parfois approximative, Elza van den Heever est loin de posséder tous les atouts du rôle-titre, dans lequel on attend un authentique soprano drammatico d'agilità, doublé d'une tragédienne hors-pair. Pourtant malgré d'évidentes lacunes, la cantatrice n'a pas froid aux yeux, son tempérament la poussant même à prendre des risques pour donner consistance à son personnage. Sa Reine regarde certes davantage vers le brillant (façon Beverly Sills) que vers le drame (Callas), comme le prouvent les nombreuses extrapolations vers l’aigu qu'elle préfère ajouter, plutôt que d’affronter la réalité du texte original, mais son courage finit par être payant, l'interprète se montrant vaillante et déterminée jusqu'au final.
Keri Alkema, mi-soprano, mi-mezzo, assume pleinement la tessiture de Giovanna Seymour d'une voix pulpeuse et joliment conduite, qui sait se faire virtuose sans que sa prestation ne tourne au numéro attendu. Les débuts de Matthew Rose en Enrico sont plus que réussis, le panache de cette jeune basse anglaise convenant parfaitement à la véhémence et à la stature de ce rôle, souvent trop large pour de nombreux confrères. Bonnes interventions du ténor Bruce Sledge en Percy, dont on apprécie le chant élégant et la technique élaborée, et des comprimari Patrick Bolleire (Rochefort) et Christophe Berry (Hervey), le Smeton de Sasha Cooke manquant de naturel et de maîtrise des registres.
 
Prochaine Bolena, en novembre à Toulon avec l’Albanaise Ermonela Jaho : nous y serons !
 
François Lesueur
 
Donizetti : Anna Bolena – Bordeaux, Opéra, 30 mai, prochaines représentations les 5 et 8 juin 2014 / http://www.opera-bordeaux.com
 
 
Photo © Frederic Desmesure

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