Blitz sur Naxos, Ariane à l’hôpital
- Publié le 08-07-2013 à 05h39
Opéra Nicolas Blanmont Envoyé spécial à Glyndebourne D’aucuns diront encore que, décidément, les metteurs en scène d’opéra cherchent parfois midi à 14 heures. Est-ce parce que, à force de les contraindre à monter toujours les mêmes œuvres, on les force à tenter des transpositions hasardeuses ? Qui, par exemple, aurait eu à l’idée de placer le prélude d’"Ariane à Naxos" de Richard Strauss dans un manoir anglais au début des années 40, et l’opéra proprement dit (censé se dérouler sur l’île quasi déserte de Naxos) dans un hôpital de campagne ?
Mise en abyme
Qui ? Non, où ! La question essentielle n’est pas celle de l’auteur, mais celle du lieu. Nous sommes à Glyndebourne : festival d’opéra aujourd’hui mondialement réputé mais, à l’origine, manoir anglais perdu au milieu de nulle part dont le riche propriétaire décida, dans les années 30, d’organiser des représentations lyriques dans une grange aménagée. Depuis, un théâtre dernier cri y a été construit, et cette "Ariadne auf Naxos" qu’on peut y voir aujourd’hui est d’abord une extraordinaire mise en abyme : l’homme le plus riche de Vienne, celui qui, selon Strauss et Hofmannsthal, impose de jouer en même temps l’opéra seria et l’intermède comique commandés pour sa fête, est peut-être John Christie, fondateur du festival. Et quand, à la fin du prologue, les avions allemands - apparaissant en vidéo - viennent lâcher leurs bombes, on comprend que le blitz a été déclenché contre l’Angleterre. Le chaos musical de fin de prologue prend une allure tragique : le rideau tombe sur un grand salon en feu où erre le compositeur, blessé.
Revenant de son pique-nique (Glyndebourne sacrifie toujours au rite des 80 minutes de "long interval" et ses jardins sont splendides sous ce soleil de juillet), le public ne s’étonne dès lors presque pas de voir, après l’entracte, les lieux transformés en hôpital de campagne. Avec des victimes de guerre, bien sûr, dont le compositeur, silencieux et ayant perdu ses esprits. Mais aussi avec une Ariane prostrée et en mal d’amour. Naïade, Dryade et Echo sont des infirmières, et Bacchus, aviateur anglais, arrivera avec l’aura des blessures de combat. Zerbinetta et ses quatre compères, eux, sont des "performers " américains venus distraire les blessés : eux en canotier et gilets rayés vert et blanc, elle en pin-up à faire hurler le loup de Tex Avery - jusqu’à ce qu’on lui passe la camisole pour la protéger de sa nymphomanie.
Brillant travail scénique
Inattendu ? Assurément. Déplacé ? Nullement. Tout au contraire : pour ses débuts à Glyndebourne, l’Allemande Katharina Thoma réussit un spectacle qui fait écho au lieu où il est donné (vertu appréciable en ces temps de coproduction forcée et d’uniformité lyrique) tout en apportant aussi un éclairage nouveau à l’œuvre. Certes, tout ne fonctionne pas avec un égal bonheur : le travail scénique est brillant et intelligent, il a la vertu de se baser sur la partition et non sur le seul livret, et le mélange entre le comique et le lyrique est idéalement dosé, mais le duo d’amour final ne s’envole pas comme on en rêverait. Sans doute aussi parce que ses deux interprètes manquent un peu de charisme : Soile Isokoski (Ariane) souffre à la fois d’une voix qui n’atteint qu’avec difficulté certaines notes et d’un physique un peu pataud, tandis que William Joyner est un Bacchus honorable mais sans plus.
Le reste du plateau comporte par contre quelques atouts réjouissants : la Zerbinetta brillante de Laura Claycomb, l’attachant compositeur de Kate Lindsey ou d’excellents maîtres de musique (Thomas Allen) et de danse (Wolfgang Ablinger-Sperrhacke). Et on admire la direction musicale très chambriste de Vladimir Jurowski : retrouvant le "London Philharmonic" pour son premier opéra de Strauss, le chef russe met joliment un terme à son mandat de directeur musical du festival anglais. Dès l’an prochain, il laissera la place au Britannique Robin Ticciati.
Glyndebourne, jusqu’au 11 juillet ; www.glyndebourne.com. Le festival se poursuit jusqu’au 25 août avec notamment "Les Noces de Figaro", "Don Pasquale", "Billy Budd" et "Hippolyte et Aricie".