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Le triomphe du Cosi fan tutte de Michael Haneke

Le metteur en scène et cinéaste met en évidence l'aspect tragique de l'œuvre de Mozart, longtemps considérée comme une simple fable.

Le réalisateur autrichien, multi-césarisé pour Amour , signe sa deuxième mise en scène lyrique.

Décidément, Gerard Mortier a le chic pour attirer l'attention sur ses premières d'opéra! À Paris, il avait fait l'événement en confiant à Michael Haneke sa toute première mise en scène lyrique, un fascinant Don Giovanni toujours au répertoire aujourd'hui. À Madrid, il l'a convaincu d'y revenir, avec cette fois l'œuvre fétiche du cinéaste, celle qui avait déjà ses faveurs avant d'accepter finalement Don Giovanni: Cosi fan tutte. En soi, cela suffisait déjà à braquer les projecteurs sur le Teatro Real.

Mais ce que ni Mortier ni Haneke n'avaient prévu, c'est que la première aurait lieu le lendemain de la cérémonie des Césars et la veille de celle des Oscars! Autant dire que le réalisateur autrichien n'était pas présent dans la capitale espagnole pour assister au triomphe de son Cosi. Car c'est bien un triomphe, et c'est bien «son» Cosi. Non que Haneke agisse en prédateur, comme un Tcherniakov ou un Warlikowski qui n'hésitent pas à s'approprier une œuvre. Il effectue un travail de précision, débarrassant le livret de toutes les conventions qui peuvent parasiter l'une des réflexions les plus désenchantées qui soient sur l'amour et la fidélité.

Direction d'acteurs soignée

Car Cosi n'est pas une comédie. On le sait, mais avec Haneke, cela apparaît avec une évidence rare. Cette clarté, c'est d'abord celle du dispositif, un magnifique palais du XVIIIe siècle avec arcades et escalier monumental, dont l'intérieur est transformé en déco contemporaine grande-bourgeoise, tout comme les costumes mêlent tenues d'aujourd'hui et perruques. C'est aussi celle d'une direction d'acteurs tellement travaillée qu'elle en paraît naturelle, faisant ressortir tout ce que les personnages de Mozart et Da Ponte recèlent de blessures. Et dire que, jusqu'aux années 1950, on a tenu Cosi pour une farce frivole! Haneke raconte l'histoire d'une déchirure. Despina n'est plus une soubrette, mais la femme de Don Alfonso, si bien que l'on n'a plus affaire à deux, mais à trois couples. Elle devient le personnage central, car l'épreuve que vivent les deux jeunes femmes, elle l'a vécue avant et en nourrit une amertume qui transparaît même quand elle ne chante pas: immense performance d'actrice de Kerstin Avemo en mélange de clown triste et de Pierrot lunaire.

théâtre réaliste et recherche esthétique

Tout ne fonctionne pas au même degré d'intensité: le metteur en scène n'évite ni les redites ni les tics (le ralentissement des récitatifs). Mais le spectacle, que l'on pourra voir à la Monnaie de Bruxelles du 23 mai au 23 juin, n'en est pas moins un très grand moment de théâtre réaliste et de recherche esthétique, qui met à nu les rapports entre les personnages. Les jeunes couples ont le physique du rôle et des voix magnifiquement fraîches, en particulier le ténor lumineux de Juan Francisco Gatell et le soprano luxuriant d'Anett Fritsch, dont le timbre se marie bien à celui de la mezzo Paola Gardina. On restera plus réservé sur la direction de Sylvain Cambreling, qui épouse certes la gravité du propos du metteur en scène, mais le fait avec une raideur que les sonorités rêches de l'Orchestre symphonique de Madrid ne font rien pour assouplir. Grand moment de solitude, enfin, pour le claveciniste arrivé en retard alors que le premier récitatif avait déjà commencé…

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2 commentaires
  • decebal bora

    le

    En fait, j'aurais du dire "Mozart= 1, Haneke= 0"; la distribution elle, est elle exactement zenithale (et surtout Fiordiligi / Anett Fritsch et Don Alonso / William Shimell) par rapport au nadir de la mise en scene...

  • decebal bora

    le

    Franchement, arretez de vous "gargariser" avec M Haneke (son passe, sa famille proche de la musique, etc.) La mise en scene? quelle mise en scene? j'y etais comme vous present a Madrid... a moins d'etre dans l'axe de la scene, on ne voyait que la motie du spectacle... en effet, le dispositif scenique "essuie-glaces" faisait en sorte que selon le stade de l'intrigue, on allait de gauche (le froid represente par un frigo americain duquel les protagonistes sortaient de quoi se "bourrer la g..." pour oublier ce qui leur arrivait) a droite (coin de l'atre de la cheminee ou les protagonistes se rechauffaient un peu l'ame et les corps)... Parlons aussi de ce dispositif scenique pour "projeter" les voix vers les spectateurs: 1. panneau de verre coulissant pour separer le fond de la scene (la salle de banquet/jardins (ou se serait perdue la voix des chanteurs) de la partie avant de la scene (partie salon ou se deroule la majeure partie de l'oeuvre), 2. murs de decor cote droit et gauche de la scene sur lesquels les chanteurs projettaient leur voix pour qu'elles portent vers la salle... la belle affaire. Dire que je suis venu specialement de Bxl et ai entraine des amis madrilenes a ce spectacle... remboursez... :):) En plus, on recidive a La Monnaie a Bxl... je reve mais bon, en ces temps de disette, on recycle comme on peut. J'espere qu'a la Monnaie (scene plus petite) cela sera mieux... a bon entendeur. Decebal Bora

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