Faust et la nuit de cristal
En voyant passer à l’arrière-plan ces chasseurs chevauchant des têtes de chevaux de bois, on repense à cette scène de "Monty Python and the Holy Grail" où un valet entrechoque des noix de cocos pour faire le bruit des sabots des chevaux que les chevaliers du Graal feignent de monter. Terry Gilliam propose à l’Opéra flamand "La damnation de Faust" de Berlioz, et l’humour souvent ravageur qui innerve sa lecture rappelle ses origines de comique absurde. Mais il y a bien plus. L’Américain est, depuis l’âge d’or du groupe anglais, devenu un cinéaste important, à l’univers éminemment personnel. Et c’est cet univers qu’il porte à la scène dans une lecture qui fera date.
- Publié le 18-09-2012 à 09h30
En voyant passer à l’arrière-plan ces chasseurs chevauchant des têtes de chevaux de bois, on repense à cette scène de "Monty Python and the Holy Grail" où un valet entrechoque des noix de cocos pour faire le bruit des sabots des chevaux que les chevaliers du Graal feignent de monter. Terry Gilliam propose à l’Opéra flamand "La damnation de Faust" de Berlioz, et l’humour souvent ravageur qui innerve sa lecture rappelle ses origines de comique absurde. Mais il y a bien plus. L’Américain est, depuis l’âge d’or du groupe anglais, devenu un cinéaste important, à l’univers éminemment personnel. Et c’est cet univers qu’il porte à la scène dans une lecture qui fera date.
Ni véritable opéra ni œuvre purement concertante, "La damnation de Faust" repose sur un livret au style assez convenu, dont l’action avance bien moins efficacement que celle du "Faust" de Gounod. Si on choisit de le donner en version scénique, l’ouvrage peut susciter l’ennui tant les chœurs, interludes orchestraux et pages de ballets prennent l’allure de tunnels : cela avait été le cas quand la Monnaie avait monté l’ouvrage voici dix ans dans une production du décorateur Roland Aeschlimann. Avec Gilliam, c’est tout le contraire. De la disette, on passe à l’abondance tant le cinéaste réussit à mettre des images sur chaque moment de la musique. Des images qui épousent chaque fois parfaitement le caractère de la partition (ah, cette marche hongroise évoquant le partage de l’Europe entre chefs d’Etat et le début de la guerre de 1914-1918 !), mais qui font toujours sens. Des images que certains trouveront abondantes ou excessives, mais qui s’inscrivent dans une cohérence parfaite et ne cherchent jamais à choquer gratuitement. Gilliam repart de l’époque de Goethe (décor romantique à la Friedrich) pour remonter le cours de l’histoire allemande jusqu’au nazisme et à la Shoah.
Utilisant parfaitement le livret (la première apparition des nazis se fait alors que Faust annonce "la barbarie"), le réécrivant parfois aux entournures (Marguerite envoyée en prison à cause de sa race), le metteur en scène fait de Marguerite une jeune fille juive que Faust, au prix de son âme, tentera d’aller rechercher dans les camps dans le side-car de la moto de Méphisto, officier nazi. Le spectacle mêle habilement la vidéo et la danse, le rêve et le réel, et réussit même à faire danser des squelettes pendant le menuet des follets, représentés ici comme la nuit de cristal.
Belle direction, énergique et inspirée, de Dmitri Jurowski, et superbe Faust, suave et en même temps corsé, de Michael Spyres. Michele Pertusi est un éblouissant Méphisto à la présence magnétique, et la beauté de son grave compense les limites de son aigu. Emouvante Marguerite de Maria Riccarda Wesseling, même si l’intonation est parfois un soupçon imprécise. Chœurs et orchestres de l’Opéra flamand plein de flammes et à un train d’enfer.
Gand, Vlaamse Opera, jusqu’au 23 septembre. Anvers, Vlaamse Opera, du 3 au 14 octobre. Rens. : 070.22.02.02; www.vlaamseopera.be