La Flûte contre-attaque

Salzbourg exhume “Le Labyrinthe”, une suite de “La Flûte enchantée”. La pire des resucées? Il n'en est rien!

Nicolas Blanmont Envoyé spécial à Salzbourg
La Flûte contre-attaque
©HANS JOERG MICHEL

Bien avant "Superman" ou "Les Bronzés", on donnait des suites aux spectacles à succès. Même du temps de Mozart. Et même dans l’opéra. Sauf que, quand il s’agit de donner une suite à "La Flûte enchantée", Mozart, décédé quelques semaines après sa création en 1791, n’était plus là. Goethe (!) entreprit d’écrire le livret de cette sequel mais, plus logiquement, la tâche revint finalement à Emanuel Schikaneder, déjà auteur du livret de "La Flûte" et créateur du rôle de Papageno, mais aussi directeur de théâtre. C’est lui qui conçut et produisit sept ans plus tard cet opéra qui portait deux titres alternatifs ("Le Labyrinthe ou Le Combat contre les éléments") mais surtout un sous-titre évocateur, "La Flûte enchantée deuxième partie". A tel point qu’il fut, plusieurs années durant, représenté en suite ou en parallèle avec l’opéra de Mozart qu’on avait même fini, au début du XIXe siècle, par rebaptiser "La Flûte enchantée première partie".

Comme au cinéma ? Oui, avec très exactement les mêmes personnages - le plus souvent avec la même caractérisation vocale - à peine augmentés de quelques autres. Avec la même structure en deux actes, et presque la même trame : avant de pouvoir vraiment se marier, Tamino et Pamina doivent encore subir, sous le contrôle de Sarastro et ses prêtres, quelques épreuves, et notamment se retrouver dans un labyrinthe. La Reine de la nuit, qui n’a pas digéré son échec de l’épisode précédent, revient avec ses trois Dames pour enlever Pamina et la jeter dans les bras d’un autre Prince (Tipheus, un des rares nouveaux de l’histoire). Et, pour qu’il n’arrive rien à Tamino (à qui on a rendu sa flûte enchantée, sait-on jamais), c’est Papageno qu’on envoie au casse-pipe pour récupérer Pamina, avec à la clé la promesse de recevoir définitivement son célèbre carillon. Un Papageno qu’on aura préalablement vu se marier avec Papagena en présence de son père et sa mère, mais aussi de ses 15 petits frères et petites sœurs, tous emplumés, colorés et facétieux.

La lecture du résumé pourrait faire craindre la pire des resucées ? Il n’en est rien ! Parodie, éventuellement. C’est que Schikaneder - la franc-maçonnerie avait été interdite entretemps - abandonne la dimension morale et édifiante de son propos initial et s’amuse visiblement : les épreuves consistent moins à éprouver la sagesse que la fidélité conjugale. Ce n’est certes pas "Tintin en Suisse", mais on n’est plus dans le politiquement correct : Sarastro crie à la guerre et à la vengeance et est finalement prêt à donner sa fille à celui des deux princes qui gagnera le duel (heureusement, c’est Tamino qui l’emporte), Papageno libère Monostatos quand ce dernier lui promet de lui livrer une femme noire (découvrant cela, Papagena se jette dans les bras du Maure) et le tout à l’avenant.

On rit beaucoup, d’autant que la production salzbourgeoise, avec des décors simples mais des costumes somptueux, joue jusqu’au bout la carte de la mise en abyme en confiant les rôles à des chanteurs qui les ont déjà chantés dans "La Flûte première partie" (Michael Schade en Tamino, Malin Hartelius en Pamina, Christoph Fischesser en Sarastro, Anton Scharinger en Papageno père et la révélation de l’excellent Thomas Tatzl en Papageno fils). La mise en scène d’Alexandra Liedtke est pleine d’humour et de second degré, et on passe une excellente soirée dans le doux plein air de la cour de la Résidence.

D’autant que, et ce n’est pas la moindre des choses, la musique, œuvre d’un compositeur très connu à l’époque mais oublié aujourd’hui, est excellente. Peter von Winter (1754-1825) sait jouer la carte des citations musicales mais avec ce qu’il faut de décalage (cette fois, ce sont les trois Dames qui dansent sur le carillon de Papageno). Mais plus encore que dans ces évocations sonores, c’est dans son écriture propre qu’on trouve plaisir : une musique qui évoque à la fois Gluck (avec une superbe écriture pour les chœurs) et le chaînon manquant entre Mozart et Weber, très joliment dirigée par Ivor Bolton.

Salzbourg, Residenzhof, les 14, 16, 21, 24 et 26 août. Infos : www.salzburgerfestspiele.at.

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