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Un Brecht fidèle et respectable

Tours
Opéra-Théâtre
01/26/2012 -  et 27, 29 janvier 2012
Kurt Weill : L’Opéra de quat’sous

Frédéric Longbois (Jonathan Peachum), Isabelle Vernet (Madame Peachum), Sophie Haudebourg (Polly Peachum), Sébastien Lemoine (Macheath dit Mackie Messer), Marie-Stéphane Bernard (Jenny), Jean-Philippe Corre (Tiger Brown), Orianne Moretti (Lucy), Nicolas Jermag (Flich/Le Pasteur Kimball/Smith)
Chœurs de l’Opéra de Tours, Emmanuel Trenque (chef des chœurs), Orchestre symphonique Région Centre-Tours, Dominique Trottein (direction musicale)
Bernard Pisani (mise en scène et chorégraphie), Luc Londiveau (décors), Frédéric Pineau (costumes), Jacques Chatelet (lumières)



(© François Berthon)



On ne redira jamais assez les bénéfices de l’intelligibilité immédiate du texte. L’Opéra de quat’sous, où la part du théâtre parlé est au moins aussi importante que celle des parties chantées, semble, de part sa nature générique, échapper à la tyrannie de la langue originale surtitrée, évitant ainsi au spectateur le torticolis de l’amateur besogneux. C’est ainsi qu’après Dédé le mois passé, l’Opéra de Tours fait vivre ses planches sans intermédiaire, avec cette fois un opus autrement subversif.


De même que la mise en scène de l’opérette de Christiné tournait autour d’une chaussure démesurée en rotation sur un piédestal, Bernard Pisani élabore son spectacle autour d’une armoire, tour à tour repaire de Jonathan Peachum, grange où se marient Macheath et Polly, chambre conjugale, ou encore prison. Par cette versatilité du décor, la production met en pratique les préceptes essentiels du théâtre de la distanciation cher à Brecht, démystifiant l’illusion scénique pour mieux amener le public à penser. Suivant ce cahier des charges qui s’est transmis au fil des générations de dramaturges et de comédiens, la déclamation exagère les stéréotypes jusqu’à l’artificialité afin de gommer toute tentation d’identification avec les protagonistes de la fable. Le plateau réuni semble manifestement avoir retenu l’enseignement. On comprend très rapidement les recettes, trop prématurément sans doute pour se laisser décentrer – condition nécessaire à la réflexion critique. Ce sont ainsi les traits d’humour les plus accessibles, les moins équivoques, les plus anodins également, qui rencontrent le meilleur accueil. La vigueur de la dénonciation sociale et politique apparaît bien assagie, presque consensuelle. C’est qu’il convient de garder un souvenir agréable de la soirée passée à l’opéra.


On a au moins le loisir d’apprécier les qualités de la distribution réunie, révélant une troupe homogène, à défaut d’être sans reproche sur la prononciation. Frédéric Longbois exhibe en Jonathan Peachum une gouaille passablement vulgaire, idoine pour «l’homme le plus pauvre de Londres». Son épouse reçoit en Isabelle Vernet une incarnation pesamment timbrée. Sophie Haudebourg se distingue par une fraîcheur acidulée, idéale pour la jeune ingénue qui roule des mécaniques. Elle affronte le métier éprouvé de Marie-Stéphane Bernard en Jenny, et celui d’Orianne Moretti, Lucy. Jean-Philippe Corre caractérise convenablement Tiger Brown. Mais c’est le Macheath de Sébastien Lemoine qui concentre l’attention et l’indignation. Trop crédible peut-être en malfrat, l’identification a opéré au-delà des limites du stylistiquement correct dans lesquelles le spectacle se tient tout au long de la soirée. La performance n’en mérite pas moins les applaudissements nourris qu’il reçoit à la fin.


Préservant la répartition traditionnelle à l’opéra, Dominique Trottein conduit dans la fosse l’Orchestre symphonique Région Centre-Tours avec un enthousiasme qui n’a pas tari depuis les représentations de décembre. Le plaisir de la revue se fait sentir lors des saluts. Weill a assurément emprunté ses codes à la vogue du cabaret qui caractérisait le Berlin des années vingt, et ce n’est pas parce que les musiciens sont dirigés comme une formation symphonique que ces accents populaires se sont revêtus d’habits élitistes. Ils se sont simplement un peu embourgeoisés pour se faire mieux entendre, étant devenus recevables.



Gilles Charlassier

 

 

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