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ENTRETIENS 19 avril 2024

Christophe Gayral :
Idomenée, un conte initiatique ?

© DR

Comédien et metteur en scène, Christophe Gayral devient assistant de Robert Carsen sur des productions majeures. Cet amoureux de la scène ne conçoit pas l'opéra autrement qu'un théâtre chanté. Il revient à l'Opéra du Rhin pour un Idomeneo placé sous le double signe de la mythologie et du parcours initiatique. De quoi attiser notre curiosité…
 

Le 11/03/2016
Propos recueillis par David VERDIER
 



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  • Des Ă©tudes de lettres, comĂ©dien, co-auteur d'un opĂ©ra Ă©questre et metteur en scène d'un spectacle franco-indien, assistant de Robert Carsen… L'Ă©clectisme est-il pour vous une ligne rouge ?

    J'assume totalement ce côté éclectique. J'ai commencé immédiatement à travailler après ma formation au Conservatoire de la rue Blanche, j'ai été comédien pendant 18 ans, j'ai fait du théâtre de rue, du théâtre de marionnettes, plein de choses différentes. J'ai toujours pensé que les arts devaient se mélanger, d'où l'expérience de vouloir combiner plusieurs sortes de spectacles. Depuis six ans, je fais de l'assistanat à l'opéra, j'ai tout abandonné pour me consacrer désormais à mes propres productions. La musique a toujours été une chose cruciale dans ma vie. Fondamentalement, je considère l'opéra comme une forme de théâtre chanté.

     

    À Strasbourg, vous avez mis en scène Il Matrimonio Segreto de Cimarosa en 2010 et Owen Wingrave de Britten en 2015. Pourquoi cet opera-seria de Mozart, Idomenée, plutôt que des œuvres plus tardives ?

    C'est Marc Clémeur, le directeur de l'Opéra du Rhin, qui m'a proposé Cimarosa. La production a recueilli un grand succès mais j'ai tout de suite après souhaité monter quelque chose de moins stéréotypé sur le plan théâtral. Marc m'a proposé la première française d'Owen Wingrave de Britten, chanté en anglais. Ce spectacle a été très apprécié par le public. Ça a été l'occasion pour beaucoup de découvrir un petit frère du Tour d’écrou.

    Dernièrement, il m'a laissé le choix entre un Haendel et un Mozart, Idomeneo, son opéra favori. La fluidité dramatique de Mozart m'a tout de suite attirée. Idomenée repose sur un livret très riche, directement issu de la tragédie grecque. On pourra toujours objecter qu'il s'agit d'un opéra bancal, avec ces deux premiers actes qui n'atteignent pas une heure et le troisième qui à lui seul fait presque 1h30 avec cet interminable ballet à la fin.

    Pour des raisons autant économiques qu'esthétiques, nous avons décidé de suivre la voie ouverte par René Jacobs dans son dernier enregistrement : supprimer le ballet et opter pour une combinaison entre la version de Vienne et de Munich. Dramaturgiquement parlant, c'est la meilleure chose à faire. Certes, il aura fallu faire des sacrifices. Arbace doit se passer de ses deux airs. Il faut de toute façon un chanteur exceptionnel, c'est presque plus difficile que les parties chantées par le rôle-titre et pourtant ces deux airs n'avancent à rien, le texte est très peu intéressant.

     

    Comment expliquer qu'Idomeneo n'atteigne pas le succès des autres opéras de Mozart ?

    Le livret est de seconde (voire de troisième) main. Il s’agit d’une adaptation de Crébillon par l’abbé et dramaturge salzbourgeois Giambattista Varesco de la tragédie de Danchet… qui avait elle-même servi à un opéra de Campra. C'est certes un opéra sérieux mais à la différence de la Clémence de Titus, plus tardive mais mieux agencée, il y a ici ce qui constituait un véritable show pour l'époque : monstres marins, scènes de tempête.

    J'ai refusé de coller à la partition de façon réaliste. J'ai tout de suite imaginé de mettre en place une double narration qui permette d'imaginer ce qui s'est passé avant et qui arrivera après, en totale adéquation avec la trame principale. Cette manière de faire m'a permis de trouver des solutions cohérentes et théâtrales pour évoquer ces passages fantastiques… loin du réalisme mais en restant dans l'ordre de l'évocation.

     

    Derrière Idomeneo, il y a les conséquences d'une guerre : désir de vengeance, blessures morales. Cet opéra a t-il pour vous des résonances contemporaines ?

    Tout à fait. Même s'il n'était pas question de transposer la guerre de Troie à la mode Regietheater, j'ai voulu faire en sorte que cet opéra continue de nous parler comme il parlait au public du XVIIIe siècle. Selon moi, le religieux est au centre de l'intrigue : Le roi Idomeneo représente l'ordre ancien et périmé qui répond au dogmatisme et à la superstition religieuse.

    C'est une forme de pouvoir qui n'a pas atteint sa liberté, contrairement aux aspirations du siècle des Lumières. Il cite sans cesse Neptune, il est obnubilé et guidé par son vœu, la religion et les croyances. Idomenée parle de l'assujettissement de l'homme face à la puissance du religieux. Vous avez raison, notre siècle n'en a toujours pas fini avec ce dogme mais rassurez-vous, je n'irai pas jusqu'à montrer sur scène des djihadistes ! Pas d'actualisation à outrance.

     

    Comment expliquer l'amour d'Ilia pour Idamante, ces deux enfants issus de deux nations ennemies ?

    C'est toute la raison du premier air d'Ilia où elle dévoile longuement le contexte, les protagonistes. On comprend immédiatement le drame cornélien qui se noue entre elle et Idamante. Pour schématiser, c'est comme si elle était juive et tombait amoureuse d'un membre de la Gestapo. Toute sa famille a été décimée et le roi rentre victorieux après des massacres invraisemblables.

    Pour trouver des solutions, il me suffit d'Ă©couter ce rĂ©citatif et surtout la musique. IdomenĂ©e est très explicite quand il dit dans son premier air : « Au milieu des flots et des Ă©cueils, soumis Ă  ta colère, je te suppliai de me sauver du naufrage et promis en holocauste Ă  ta fureur le premier mortel qui aurait le malheur de s’aventurer ici. Â»

    C'est lĂ  encore une fois la musique qui rĂ©vèle l'amour d'Ilia Ă  Idamante, lorsque les mots lui Ă©chappent et qu'elle lui rĂ©vèle la dualitĂ© de la situation : elle l'aime alors mĂŞme qu'elle devrait le haĂŻr. Ils ont mis trois heures Ă  se dĂ©couvrir mais l'amour est lĂ  et c'est la Voix qui arrĂŞte la tragĂ©die : « l’Amour est vainqueur... IdomĂ©nĂ©e n’est plus roi… Â» Pendant trois actes, ils ont avancĂ© vers la lumière et la raison. Ils sont Ă  mĂŞme de se dĂ©clarer leur amour, après avoir passĂ© des Ă©preuves comme Pamina et Tamino dans la FlĂ»te enchantĂ©e.

     

    Dans le même esprit, on pourrait comparer les interventions d'Électre à celles de la Reine de la nuit. Avez-vous éprouvé des difficultés à la mettre en scène ?

    C'est vrai qu'elle arrive comme un cheveu sur la soupe. Elle est rescapée, elle a subi la mort de son frère et sa présence dans l'opéra représente une alternative à Ilia. Il faut simplement organiser cette dualité bien-mal pour que tout fonctionne.

     

    Les chœurs ont une grande importance dans l’opéra.

    J'ai perçu cet élément dès le départ. Dans ma mise en scène, ils occupent une place prépondérante. Avec sept scènes et quarante-cinq minutes de présence sur scène, il faut trouver des solutions, comme par exemple l'utilisation d'acrobates et de danseurs au sein du groupe. Les parties chorales sont parmi les plus belles dans tout ce que Mozart a composé (Placido è il mar…, Pietá ! Numi pietà !). On y trouve déjà des accents de la Flûte, écrite pourtant dix ans après. Les Chœurs de l'Opéra du Rhin sont fantastiques, à l'image du sérieux affiché par cette maison.

     

    Le changement de chef a t-il eu une incidence sur votre travail ?

    J'ai travaillé tous les détails de la partition avec Hervé Niquet. Le fait qu'il ne puisse finalement pas diriger n'a pas eu d'incidence majeure sur le projet. Sergio Alapont vient d'un tout autre univers que celui du baroque, il est notamment connu pour ses interprétations de Mahler. Tout se passe vraiment très bien avec lui.

     

    Quels sont vos projets futurs ?

    J’en ai plusieurs, mais certains ont été soit modifiés, soit reportés. Je travaille en particulier à un projet entre la France et l'Italie, avec des artistes assez connus que je souhaite réunir autour d'une œuvre française. Pour l'instant, c'est un secret, je ne peux encore rien dire.




    À voir :
    Idoménée de Mozart, mise en scène : Christophe Gayral, direction : Sergio Alapont, Opéra national du Rhin, Strasbourg, du 16 au 24 mars 2016.

     

    Le 11/03/2016
    David VERDIER


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