Pelléas et Mélisande entre monde végétal et douleurs terrestres à Liège
Signant la mise en scène, la dramaturgie, la scénographie et les costumes, André Barbe et Renaud Doucet situent l’ouvrage dans un monde à la fois végétal et minéral où l’eau occupe une place prépondérante. Le rideau de scène, sorte de longue chevelure pendante composée de feuillages et d’algues, vient délimiter les différents lieux de l’action, tandis qu’un vaste bassin –la fontaine des Aveugles, la grotte près de la mer–, occupe le centre du décor.
Un être mystérieux et inquiétant (qui pourrait être Barbe-Bleue, lui qui a également fasciné Maeterlinck) conduit au lever de rideau Mélisande, revêtue d’une imposante robe de mariée, avant de l’abandonner aux abords de la forêt où Golaud la rencontrera. Six servantes dissimulées sous de longs vêtement blancs l’accompagnent et se mettent au service de Mélisande non sans avoir offert une nouvelle jeune fille nue à leur maître. Leur présence en scène restera presque permanente jusqu’au dénouement final où elles reviennent pour revêtir Mélisande de sa robe de mariée d’origine sur son lit de mort.
Cette approche certes symboliste mais pas totalement explicite vient un peu troubler l’action globale qui demeure plus en retrait, moins exploitée. La mise en scène de fait, reprise ici par Florence Bas, s’avère classique dans ses autres aspects et de qualité, respectueuse à la fois du texte et de la musique.
Sauf pour Geneviève et Arkel dont les costumes empesés se réfèrent à des temps anciens et dépassés, les autres protagonistes semblent plus libres dans leurs mouvements, dans leurs habits contemporains. Les lumières chatoyantes et mordorées créées par Guy Simard soulignent avec pertinence cette production.
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Après avoir été sollicité pour incarner Golaud, Lionel Lhote à ce stade de sa belle carrière, a préféré aborder le rôle de Pelléas, avant comme beaucoup d’autres barytons avant lui, de se saisir de Golaud. Et il a visiblement fort bien fait : outre la présence scénique, il offre ses moyens radieux au personnage lui permettant, d’une voix claire et harmonieuse, de déjouer tous les pièges de cette tessiture particulière, entre ténor et baryton. L’aigu joue de toutes ses facilités à la grande scène de la fontaine ce sans jamais perdre ses couleurs ou son rayonnement.
Nina Minasyan effectue ici sa prise de rôle en Mélisande. Sa voix de soprano fraîche et facile, homogène, sied bien au personnage qui manque encore cependant d’épaisseur, d’expressivité et d’un brin de mystère.
Hier Pelléas exemplaire de tenue et d’implication, Simon Keenlyside aborde le rôle de Golaud avec une vérité de chaque instant et une sincérité de sentiments imparable, comme il l’avait déjà démontré au Théâtre des Champs-Élysées en 2021 sous la baguette de François-Xavier Roth. Le matériau vocal demeure d’une tenue parfaite, tout en intensité et empli d’une efficacité dramatique qui bouleverse l’auditeur et le spectateur tout au long de sa prestation. Ce formidable interprète, qui a dépassé la soixantaine et fut soumis à plusieurs reprises à des problèmes de santé, a certes réduit quelque peu ses apparitions à la scène désormais ce tout en restant à son plus haut niveau d’exigence artistique.
Marion Lebègue détaille d’une voix ronde et solide la lecture de la lettre par Geneviève, tandis que Judith Fa, au timbre ravissant, peine un peu à passer la rampe en Yniold.
Jeune basse de Corée, Inho Jeong –finaliste l’an dernier du Concours Reine Elisabeth et premier prix homme du Concours de Marmande en 2022– fait valoir en Arkel des moyens de grand caractère, d’un timbre noir et d’une belle largeur. Seule la prononciation un peu cotonneuse reste à parfaire. Inho Jeong retrouvera d'ailleurs Lionel Lhote pour Madame Butterfly au Festival d’Aix-en-Provence cet été.
Roger Joakim, un médecin et un berger (mais aussi interprète du personnage mystérieux de toute sa haute silhouette) impose une présence générale fière et solide.
Après Bordeaux et l’enregistrement de l’intégrale de Pelléas et Mélisande, puis les représentations scéniques de l’ouvrage à l’Opéra de Rouen dans la mise en scène d’Eric Ruf, Pierre Dumoussaud poursuit son exploration de la partition de Debussy. Placé à la tête de l’Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège, le chef parvient à établir un climat sombre et comme teinté de mélancolie, conférant à sa direction musicale une juste théâtralité nimbée dans une pâte sonore ample et intense. Il n’hésite pas à faire gronder l’orchestre et à exploiter les extrêmes de la partition. Un soupçon plus accentué de poésie voire de mystère ne pourrait que compléter habilement son approche déjà fort convaincante ainsi.
Le public liégeois a manifestement beaucoup apprécié la représentation, faisant un accueil particulièrement chaleureux au chef, à Simon Keenlyside et Lionel Lhote, le baryton maison.