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Guillaume Tell atteint sa cible

Milano
Teatro alla Scala
03/20/2024 -  et 23, 26 mars, 3, 6*, 10 avril 2024
Gioachino Rossini : Guillaume Tell
Michele Pertusi (Guillaume Tell), Dmitry Korchak (Arnold Melcthal), Nahuel Di Pierro (Walter Furst), Evgeny Stavinky (Melcthal), Catherine Trottmann (Jemmy), Luca Tittoto (Gessler), Brayan Avila Martínez (Rodolphe), Dave Monaco (Ruodi), Paul Grant (Leuthold), Huanhong Li (Un chasseur), Salome Jicia (Mathilde), Géraldine Chauvet (Hedwige)
Coro del Teatro alla Scala, Alberto Malazzi (préparation), Orchestra del Teatro alla Scala, Michele Mariotti (direction musicale)
Chiara Muti (mise en scène), Alessandro Camera (décors), Ursula Patzak (costumes), Vincent Longuemare (lumières), Silvia Giordano (chorégraphie)


(© Brescia e Amisano/Teatro alla Scala)


Aussi étonnant que cela puisse paraître, Guillaume Tell n’avait encore jamais été représenté en français à la Scala. Le vénérable théâtre vient de réparer cette lacune avec une nouvelle production de l’ultime chef‑d’œuvre de Rossini chanté dans sa version originale. La partie scénique du spectacle est signée Chiara Muti, qui n’est autre que la fille de Riccardo Muti, lequel avait, pour la petite histoire, dirigé la dernière série de représentations de l’ouvrage du maître de Pesaro à Milan, en décembre 1988. Pour ce Guillaume Tell en français, point de Suisse de carte postale avec son lot de paysans et de bergers en costumes folkloriques et vivant dans des paysages pittoresques entre montagnes, lacs et forêts. Chiara Muti a choisi de transposer l’action dans un lieu anonyme et sombre, un lieu effrayant et abstrait caractérisé par d’immenses tours grises remplies de personnages eux aussi en costumes gris. On l’aura compris, Guillaume Tell ne conte pas ici la révolte des Helvètes contre l’occupant autrichien, mais devient plutôt le symbole de la lutte de la lumière contre les ténèbres, de la vertu contre le vice, du Bien contre le Mal. La metteur en scène s’est inspirée du film Metropolis (1927) de Fritz Lang, qui décrit de façon expressionniste la vie d’une société asservie à la technologie. Et d’ailleurs, les choristes et les figurants tiennent tous une tablette entre leurs mains, sur laquelle ils ont les yeux constamment rivés. Mais l’asservissement se fait sentir dans les chairs aussi, car les oppresseurs se montrent particulièrement brutaux et violents, n’hésitant pas à assassiner, à violer et à frapper, ce qui ressort clairement des scènes de ballet, qui n’ont pas été coupées, l’opéra étant donné dans son intégralité ou presque. Au dernier acte, la tempête sur le lac, à la faveur de laquelle Guillaume Tell réussit à s’enfuir et à retrouver les siens, est rendue de façon saisissante par un jeu d’ombres derrière une immense toile blanche, avec des éclairs et des flammes, et l’apparition de la Mort, armée de sa faux. La conception scénique du spectacle a été diversement appréciée. Les chroniques de la première ont fait état de très vives contestations à l’égard de l’équipe de production au rideau final. Qu’on apprécie ou non ses partis pris, il faut néanmoins reconnaître à Chiara Muti le mérite d’avoir fait preuve d’une grande cohérence et d’intelligence dans son spectacle, même si la production se révèle particulièrement statique, avec les chanteurs la plupart du temps figés sur le devant de la scène pour interpréter leurs airs et des personnages relativement peu caractérisés. Des débuts à la Scala en demi‑teinte donc pour la metteur en scène.


La partie musicale et vocale du spectacle a, quant à elle, fait l’unanimité. Grâce, en premier lieu, à la direction vibrante et enthousiasmante de Michele Mariotti, à la tête de l’Orchestre de la Scala. La célèbre Ouverture, superbement ciselée, est déjà un événement en soi : l’intervention initiale du violoncelle, tout en douceur, est suivie par un magnifique crescendo figurant un orage, avant une cantilène des plus bucoliques, qui débouche sur un galop proprement électrisant. Le chef a été ovationné après cette exécution, comme il le sera d’ailleurs lors de chacune de ses apparitions dans la fosse après les trois entractes ainsi qu’aux saluts finaux. Tout au long de la soirée, il n’aura de cesse de soigner avec un incroyable raffinement les détails harmoniques de la partition pour livrer une interprétation particulièrement dynamique et contrastée ; jamais il ne relâchera non plus la tension dramatique et gardera toujours présente à l’esprit l’architecture de l’œuvre, en maintenant un équilibre constant entre la fosse et le plateau, attentif à ne pas couvrir les chanteurs. Une direction musicale magistrale. Le chœur, qui occupe une place centrale dans l’opéra, fait lui aussi très forte impression, aussi bien dans les passages lyriques que dans les pages d’explosion de joie ou de colère.


La distribution vocale est emmenée par le vétéran Michele Pertusi, Tell extrêmement humain et émouvant, sensible à la douleur de son peuple et prêt à la révolte ; si le timbre a quelque peu perdu de son éclat avec les années, le chanteur est en très grande forme, attentif à chaque mot et à chaque phrase, avec de surcroît un splendide legato. Dmitry Korchak vient à bout du rôle meurtrier d’Arnold avec brio : dans les pages héroïques, le timbre est lumineux, les aigus rayonnants et les accents incisifs, mais le ténor est tout aussi convaincant dans les passages lyriques ou pianissimo, où il fait preuve d’une grande douceur et de mélancolie. La Mathilde suave et aristocratique de Salome Jicia séduit dans ses premières interventions, avec une belle voix ample et claire, mais la fatigue se fait vite sentir chez la soprano, qui finit par livrer des vocalises un brin scolaires et des aigus un peu crispés. Parmi les nombreux rôles secondaires, il convient de relever l’Hedwige émouvante et fervente de Géraldine Chauvet, au timbre chaud et corsé, ainsi que le Jenny plein de fraîcheur de Catherine Trottmann, aux aigus agiles. On notera aussi la très bonne diction française de tous les interprètes.



Claudio Poloni

 

 

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