Claudio Monteverdi (1567–1643)
L'incoronazione di Poppea (1642)
Opéra en un prologue et trois actes
Livret de Giovanni Francesco Busenello d'après les Annales de Tacite
Création en 1642 au Teatro San' Giovanni e Paolo de Venise

Direction musicale Laurence Cummings
Mise en scène Christoph Marthaler
Décors et costumes Anna Viebrock
Travail des costumes Lasha Iashvili
Lumières Cornelius Hunziker
Collaboration à la mise en scène Joachim Rathke
Dramaturgie Malte Ubenauf, Roman Reeger

Poppea  Kerstin Avemo
Nerone  Jake Arditti
Ottavia  Anne Sofie von Otter
Ottone  Owen Willetts
Drusilla Álfheiður Erla Guðmundsdóttir
Arnalta  Stuart Jackson
Seneca  Andrew Murphy
Valetto Rosemary Hardy
Nutrice Graham F. Valentine
Edda  Liliana Benini
Liberto Karl-Heinz Brandt
Littore Jasin Rammal-Rykała
Lucano Lulama Taifasi

La Cetra Barockorchester Basel
Figurants Theater Basel

Bâle, Theater Basel, dimanche 3 mars 2024, 18h30

Plus que L’Orfeo, L’Incoronazione di Poppea est l’objet de productions assez nombreuses et variées, qui vont de l’histoire d’amour de deux cœurs qui trouvent par hasard la tendresse sur leur chemin, aux Noces de sang vues à Strasbourg la saison dernière pour ne pas évoquer la production de Ted Hufmann sur les passions humaines vue à Aix et à Rennes .
Plus largement les plus grands metteurs en scène d’aujourd’hui se sont frottés à l’opéra de Monteverdi, de Calixto Bieito à Krzysztof Warlikowski à Barrie Kosky qui inaugura son mandat à la Komische Oper de Berlin par une trilogie Monteverdi en 2012.
Cette abondance de biens montre la puissance et la richesse de l’œuvre, nourrie du livret de Francesco Busenello, d’une telle modernité que la plupart des livrets d’opéra qui suivront, jusqu’à Mozart constituent un recul.
Faut-il alors s’étonner que Christoph Marthaler, l’un des plus grands de la scène européenne s’attaque aujourd’hui à cette œuvre, livrant au Theater Basel, une institution qu’il connaît bien depuis ses premières années, une mise en scène d’une force nouvelle, qui pose clairement le postulat que l’œuvre de Monteverdi et Busenello (il faut décidément les citer ensemble) est bien autre chose qu’une histoire d’amour anecdotique pour légendes dorées des couples d’amoureux mythiques, mais une froide histoire de pouvoir, dans le sillage de la réflexion sur le pouvoir initiée par Tacite autour de la figure de Néron dans ses
Annales, et poursuivie entre autres sous la Renaissance avec un Machiavel dans Le Prince. Comment prendre et conserver le pouvoir, voilà la donnée essentielle de cette production glaçante, où la musique est vécue comme l’accompagnement des funérailles de l’humanité, qui a tant à voir avec ce que nous vivons et ce que les plaies du XXe siècle nous ont fait vivre.

Un peu d'histoire 

Néron est avant d’être un personnage historique, une figure qui sert à l’historiographie romaine, et notamment Tacite, pour établir l’idée d’une déliquescence progressive de la vertu romaine (incarnée par Auguste), qui se délite peu à peu avec ses successeurs, Tibère, meurt haï du peuple, malgré une politique au total prudente, mais décriée par les historiens de l’époque, Caligula qui lui succède devient vite un autocrate, faisant assassiner tous ceux qu’il considère comme une menace et il apparaît dans l’historiographie comme une sorte de mégalomane fou. Il meurt assassiné.
Son successeur, Claude, méprisé par tous les historiens antiques à cause d’un physique malingre qui semble être l’image de son âme a un règne réévalué par les historiens modernes, mais sa vie privée le perd : il épouse en troisièmes noces Messaline, dont le seul nom est évocateur dans la légende dorée des hétaïres, mais elle lui donne un fils Britannicus, le héros de la tragédie de Racine et il la fait exécuter pour adultère. Il épouse en quatrième noces Agrippine, qui lui a fait adopter son fils Néron. Agrippine, qui n’est pas non plus un ange descendu du ciel, le fait empoisonner et impose son fils Néron comme successeur.
Néron arrive au pouvoir grâce à sa mère, Agrippine, et le fils « légitime », Britannicus, est (probablement) assassiné à 14 ans. C’est ce que raconte la tragédie de Racine.
À lire les sources antiques les plus proches, notamment Tacite et Suétone, les protagonistes de l’époque sont un ramassis de criminels sans foi ni loi, dévorés d’ambition, de désirs et assoiffés de pouvoir d’autant que les problèmes de succession ont empoisonné la dynastie julio-claudienne, les premiers empereurs successeurs d’Auguste. Les historiens de l’époque sont autant historiens que moralistes, et l’histoire invoquée se met au service de doctrines morales et politiques, les faits peuvent être gauchis, falsifiés, et la « vérité historique » reste difficile à déchiffrer au profit d’une histoire édifiante ou répulsive.

Un historien comme Tite Live présente l’histoire romaine, comme celle qui de troubles en troubles, arrive à la pax romana d’un Auguste qui serait l’exemple des antiques vertus.  
Peu à peu chaque successeur va s’en éloigner devenant un exemple de dérive. Voilà le schéma.

Des figures peu recommandables, et notamment les femmes

Peu à peu à côté d’empereurs affaiblis comme Claude, apparaissent des figures féminines de l’ambition et de l’amoralité, comme Messaline décrite comme une affamée de sexe à tout va (Meretrix Augusta, putain impériale dit d’elle Juvénal) si bien qu’elle est exécutée pour complot contre son mari. Elle lui laisse deux enfants, Britannicus et Octavie.
En épousant ensuite Agrippine, Claude épouse une figure de l’ambition effrénée, et elle n’a de cesse que d’imposer son fils Néron pour succéder à Claude, qui l’adopte. Étant plus âgé que Britannicus (l’héritier légitime en ligne directe) en toute logique il est promis à l’Empire… Agrippine fait ensuite assassiner Claude, et porte son fils au trône, non sans lui avoir fait épouser Octavie, la fille de Claude et de Messaline, histoire de donner à Néron encore plus de légitimité. Très vite, Britannicus meurt de mort suspecte ce qui débarrasse Néron d’un risque de guerre de succession.
Autour du jeune empereur désormais, trois conseillers, d’un côté, Agrippine et de l’autre Burrhus et surtout Sénèque.

Ce sont les affaires privées qui vont fournir à Busenello l’argument de son livret.
Néron est très vite à la fois insatisfait de son mariage avec Octavie et las du poids de sa mère Agrippine qu’il finit par éloigner à cause de son opposition à sa liaison avec une affranchie, Aktè, que Burrus et Sénèque soutiennent pour contrebalancer l’influence de la mère. Une fois Agrippine éloignée, les deux conseillers détiennent le pouvoir que Néron délaisse de plus en plus pour une vie personnelle désordonnée.
Cette vie croise celle tout aussi désordonnée d’Othon, dont il fut probablement l’amant, et à qui il fait épouser Poppée (Sabina Poppea) dont il est amoureux après l’avoir forcée à divorcer. Naît alors un ménage à trois que Néron passionnément amoureux rompt en éloignant Othon et en l’envoyant aux Marches de l’empire, en Lusitanie (ce qui va le sauver sans doute des assassinats de cour).
Mais à son tour Poppée est prise d’un désir d’aller plus haut et exige le mariage avec Néron. Un mariage politiquement impossible pour deux raisons, l’opposition d’Agrippine éloignée mais encore puissante, et la réputation d’Octavie, celle d’être la vertu romaine incarnée. Le sort d’Agrippine est scellé, elle est assassinée en 59, mais Sénèque n’est pas favorable non plus à l’union de Poppée et de Néron.
Poppée étant enceinte Néron obtient en 62 le divorce d’avec Octavie pour cause d’infertilité. On lui ouvrira les veines peu après.
Poppée accède au trône, donnera une fille à Néron, mais enceinte une deuxième fois, elle succombe en 65 probablement après un coup de pied de Néron dans son ventre. Néron qui semble sincèrement amoureux (c’est je t’aime je te tue), sera vivement affecté de cette perte…

Pour Sénèque, cela sent un peu le roussi : il est immensément riche d’une fortune colossale qui finit par lui nuire, et les frasques de l’empereur rendent tous ses conseils et discours caducs, enfin il voit la tendance à des décès subits et suspects autour du pouvoir augmenter de manière exponentielle… il préfère demander à quitter la cour. Mais la cour le rattrape et c’est à la suite de la conspiration de Pison en 65, à laquelle il est lié de loin et pas directement, qu’on lui demande de mettre fin à ses jours. Il meurt la même année que Poppée.

Voilà pour l’histoire, celle de celui que Racine appelle un monstre naissant : Néron en 65 n’a que 28 ans ; il règne depuis 11 ans et a déjà éliminé sa mère, sa première femme, son « frère » Britannicus, ses conseillers, et Poppée son épouse meurt probablement d’un féminicide malencontreux sous ses coups. Il lui reste trois ans à vivre avant lui aussi de devoir se trancher la gorge. Quant à Othon il sera l’un des successeurs de Néron lors de l’année 69, dite l’année des quatre empereurs.

 

Le livret de Francesco Busenello

Ainsi, la tragédie de Busenello devrait se passer en 62 et met en scène en un raccourci éloquent Néron et Poppée, Octavie, Othon et Sénèque en appuyant sur la tradition historiographique d’un Néron avatar monstrueux de la décadence de la vertu et du bon gouvernement, où règne le bon vouloir étayé par la terreur. À l’époque, les seules sources historiques sont celles des textes anciens et l’histoire ne fait pas la part de la véracité des faits ou des faits arrangés pour servir une doctrine morale. Busenello s’en tient donc à ces figures-là, et elles le servent pour ses propres buts.

L’œuvre de Busenello en effet ne vient pas non plus d’un contexte d’époque seulement focalisé sur les belles histoires de l’antiquité.

La question de la nature du pouvoir, de ses effets sur les hommes et les peuples de ses manifestations, se pose à la fois au niveau théorique et au niveau pratique : l’un des premiers à réfléchir aux effets modernes des doctrines antiques est Machiavel, auteur du Prince (Il Principe) manuel du parfait homme de pouvoir, qui est un disciple de l’historien grec Thucydide, le premier théoricien du réalisme politique, mais aussi un lecteur de Tite Live : n’oublions pas que son autre grand ouvrage est Le Discours sur la première Décade de Tite Live. Machiavel vit au début du XVIe siècle, et c’est un observateur des « régimes » en cours en Italie.
Aux XVe, XVIe et au XVIIe, et dans le contexte même de la vie de Monteverdi, on croise en Italie des formes de pouvoir très diverses qui s’opposent philosophiquement et politiquement. La République de Venise est un des pôles, la papauté en est l’autre, et entre les deux, les principautés qui sont autant de territoires aristocratiques et autocratiques qui penchent vers l’un ou l’autre : Machiavel écrivant Le Prince pensait à César Borgia, le condottiere qui un temps pensait conquérir la Romagne et le centre de l’Italie en menaçant la Toscane, et en faisait un exemple de prince à la fois protégé (par son père le pape), guerrier conquérant par sa virtù (son courage) et aussi son sens politique. L’œuvre de Machiavel est un traité de comportement politique inspiré de la situation du temps, mais dont l’influence se lit jusqu’à nos jours.

Il y avait en Italie de grands territoires dont les états pontificaux au centre, la République de Venise et le duché de Milan au Nord et le Royaume de Naples au Sud, et entre ces grands états, de plus petits pôles autocratiques, Ferrare ou le duché d’Urbino par exemple où chacun rivalisait sinon par les armes, du moins par l’exposition de la richesse et des réalisations artistiques : il suffit de penser par exemple au Palais d’Urbino, à une trentaine de kilomètres de Pesaro. Parmi ces petits territoires, Mantoue, fief de la famille des Gonzague, essentiellement coincé entre duché de Milan et République de Venise. Originaire de Crémone assez voisine Monteverdi y commença sa carrière et y créa L’Orfeo, dans un salon de l’ahurissant Palais des Gonzague, riche de plusieurs milliers de pièces, renfermant d’incroyables trésors artistiques.  De tous les états d’Italie, Mantoue se détachait par sa richesse donc par l’activité artistique. Mais à partir de 1613, Monteverdi est lié à Venise, la grande voisine (la frontière avec le territoire Vénitien est à quelques kilomètres au nord et Vérone, qui appartient à Venise, est à une quarantaine de kilomètres) dont le territoire s’enfonce jusqu’à Bergame et comprend aussi désormais Crémone, ville natale de Monteverdi.
La république, qui allait richesse insolente elle aussi et réputation de libéralisme, (et Busenello fait partie de cercles intellectuels libertins) qui avait ouvert ses théâtres au public là où ailleurs ils restaient encore confinés dans les cours et dans les palais.
En écrivant l’Incoronazione di Poppea, la cible de Busenello le vénitien est sans doute à travers la Rome antique, la Rome moderne, que déjà les protestants qui la saccagèrent en 1527 appelaient la Sodome moderne. Le drame décrit la montée au pouvoir d’une intrigante qui réussit par son influence sur Néron à lui faire répudier son épouse légitime, contraindre le précepteur Sénèque à mettre fin à ses jours et finir sur le trône comme impératrice, tandis qu’Othon est envoyé en exil.
Aucun personnage ne s’y sauve, si ce n’est peut-être Drusilla : Octavie, exemple des vertus romaines, n’hésite pas à pousser Othon à accomplir un meurtre, Othon lui-même, amoureux de Poppée, tente donc de l’assassiner en impliquant l’innocente Drusilla (il lui emprunte ses habits), Sénèque est moqué, s’exprimant par aphorismes pédants et toujours en représentation, et même la nourrice Arnalta critique sa maîtresse Poppée jusqu’au moment où elle change d’avis quand celle-ci devient impératrice. Enfin Néron, tout à ses caprices est totalement inféodé à ceux de Poppée.

Le tableau est édifiant, un livret où l’immoralité et le cynisme sont partout, comme on le verra rarement à l’opéra dans l’avenir.
On peut y voir l’éloge de la république de Venise face à la Monarchie absolue et corrompue représentée par Rome, mais aussi par nombre de pouvoirs en Italie à l’époque, et en tous cas, Busenello n’a jamais voulu célébrer une histoire d’amour qui triompherait de tous les obstacles, mais bien plutôt exposer une méthode, un vrai tutoriel dirait-on aujourd’hui : comment devenir impératrice dans un état totalitaire ?

La vision de Marthaler

C’est à cette question que Christoph Marthaler essaie de répondre dans sa mise en scène, évacuant d’emblée le prologue et la victoire d’Amore :
l'un e l'altra di voi da me abbattuta,
dirà, che 'l mondo a' cenni miei si muta.
(
L'un et l'autre de vous, tués par moi,
diront que le monde est changé par mes hochements de tête.)

La musique commence et s’interrompt en effet brutalement pour laisser passer le cadavre d’Amore ensanglanté (on le reconnaît à sa flèche) et tout au long de la représentation des cadavres traînés de ci de là traverseront le plateau aux moments les plus inattendus, suscitant bientôt quelques gloussements en salle, comme si le nombre de morts accumulés ne faisait plus aucun effet, sinon celui d’un comique de répétition.
C’est le deuxième caractère de cette mise en scène : l’intrusion d’un comique presque clownesque, typique de Marthaler, dans une véritable « œuvre au noir »

Le comique

Élève de Jacques Lecoq, Marthaler glisse dans la plupart de ses spectacles des éléments de mime, de « slapstick », de décalage avec l’ambiance supposée de l’œuvre. En ce qui concerne L’incoronazione di Poppea, Busenello lui-même a parsemé l’intrigue de moment loufoques, comme par exemple le personnage d’Arnalta, vu souvent d’une manière clownesque, ou même la nutrice d’Ottavia.
Dans la vision de Marthaler, Arnalta reste un personnage bien planté, qui n’a aucun des ridicules habituels, mais dont le gigantesque format fait contraste avec la frêle Poppea. Si bien qu’à un moment l’entrée de Poppea est masquée et dissimulée par le volume d’Arnalta en un jeu typique de dessin animé (Asteric/Obelix, Laurel/Hardy etc…)

L’autre nourrice posait un problème de cohérence. Si Ottavia dans l’histoire est toute jeune, dans la vision de Marthaler, c’est Anne Sofie vion Otter, ultra sexagénaire, une sorte de veuve noire, une double d’Agrippine, comme une réminiscence qui doit évidemment agacer Néron. Lui adjoindre une nourrice serait y adjoindre une ultra octogénaire au moins… un peu étrange. Alors Marthaler use d’un détournement, confiant le rôle à son fidèle Graham F. Valentine, à la fois mime (il imite les gestes d’autres) s’exprimant en français, (et les rires dans la salles montrent que le public français voisin est quand même assez nombreux) dans une ville germanophone, alors que lui-même est écossais et donc parle avec un très léger accent qui le renvoie aussi ailleurs , à la fois sérieux et burlesque, un personnage entre chanteur et acteur, mime et comédien qui offre lui aussi un autre type de décalage dans le spectacle. Les personnages d’ailleurs n’ont pas forcément l’âge de leur rôle (par exemple la Valletta de Rosemary Hardy, presque plus nourrice que Valletta, véritable flaque d’humanité dans ce monde de glace.
Marthaler fait du rire une sorte de mécanique, fondée sur la répétition, même de gestes affligeants de banalité dont la répétition finit par faire glousser la salle (les portes qui s’ouvrent et qui claquent, les cadavres qu’on traîne sans que personne ne s’en préoccupe).
Ailleurs, il crée le décalage avec la scène qui se joue : ainsi de Sénèque, traité comme une outre pleine de soi, qui arrive en scène et qui fait changer sans cesse son fauteuil de place, et donc celle des auditeurs, pour trouver la place où sa posture magistrale sera la plus avantageuse . Et pendant qu’il parle par aphorismes, un tableau dissimulé tombe du plafond et les élèves assistent à une démonstration absconse au tableau, avec des liaisons, des fils qui se croisent, schéma illisible qui se veut clair, sorte de métaphore dérisoire d’un discours philosophique filandreux qui justement n’est que discours, puisque celui qui le profère n’est en aucun cas un modèle.

La scène de la mort de Sénèque, qui se veut dans l’œuvre plus ou moins la répétition de celle de Socrate, est ici aussi l’occasion de pantomimes étranges, Sénèque doit mourir, et chacun lui apporte un verre qu’on a agité (comme pour un comprimé effervescent) et qu’il doit boire, une sorte de mise à mort collective, « d’aide à mourir » collective et répétitive, sorte de petit ballet mécanique qui semble être une sollicitude collective à qui est malade, comme si chacun y allait de sa médecine, mais ici on est presque dans Mort sur le Nil comme si tous participaient au meurtre, qui devient alors une sorte de rituel sacrificiel à on ne sait quelle cause (à moins qu’on ne le sache que trop). Dans le monde oppressant de Néron, ils sont tous soumis, tous obéissants, et tous coupables. Je te donne mon obéissance et tu me laisses en vie.
Le rideau du deuxième acte s’ouvre sur Sénèque sur un brancard, dont « la muse », le fantôme d’Edda Mussolini (fille de) égérie du fascisme triomphant, qui fait partie des personnages à la fois essentiels et intermittents de ce travail, vérifie que le produit létal a fait son effet, elle tâte le cou, le pouls, et triomphante, d’un geste parlant et plutôt alerte, elle indique en croisant ses deux bras aux autres qui ricanaient que c’est fini. Rires dans la salle.

Andrew Murphy (Sénèque, à droite), Rosmary Murphy (Velletta, à gauche), Anne Sofie von Otter (Ottavia), et au fond, élèves-disciples devant le tableau

Ces rires devant la mort de Sénèque qui devrait être un des grands moments d’émotion de l’œuvre sont de nature à enrichir notre lecture. D’abord, Sénèque prêchait pour les autres un comportement qui n’était pas forcément le sien, et donc l’effet de son prêche sur son public pouvait a minima être pris avec circonspection. Ensuite, rire devant la mort est une manière de la rendre ordinaire, un non-événement dans le palais de Néron, une de plus, qui ne fait plus effet de mort, mais effet d’habitude, de mise à distance presque apotropaïque (pour chasser le mauvais esprit) dans un lieu où à chaque moment on pouvait passer de vie à trépas, de la porte ouverte à la porte fermée. Enfin il y a l’effet comique direct de « non morir Seneca » que tous chantent en lui tendant le poison. De l’être et de l’apparence.
Les personnages évoluent dans un monde où ils sont au premier plan alors qu’au second plan entre cadavres et prisonniers il se passe des choses auxquelles on est plus ou moins mêlé, mais qu’on préfère mettre sous le tapis. D’où les rires, d’où les petits hoquets dans les mouvements qui font glousser la salle. D’où l’effroi sous-jacent.
Le comique ici pour le metteur en scène est comme souvent chez lui une manière détournée d’affronter l’horreur, voire de la renforcer, par le jeu des acteurs, et par les réactions des spectateurs, la première surprise passée.
Marthaler aussi nous rappelle hélas que le type de régime visé conduit à des choses qui sur le moment peuvent paraître une norme, mais qui vues à distances apparaissent ridicules, Mussolini et sa coiffe, les saluts nazis ou fascistes d’une collectivité galvanisée, comme un troupeau décérébré : déjà Chaplin l’avait souligné dans Le Dictateur en 1940 : de dictature à caricature, le pas est facilement franchi.

Mais le sens de la mise en scène est affirmé aussi et surtout, par le cadre choisi.

Le décor : instrument de l’oppression

Le cadre de la représentation est Rome, mais c’est ici une Rome plus récente qui a choisi pour modèle l’Empire Romain conquérant, qui l’a imité architecturalement, et qui lui a même pris son nom : la Rome fasciste.

Palazzo Terragni (Côme) "Casa del Fascio"

Ainsi le décor est-il celui de la Casa del Fascio, à Côme, aujourd’hui Palazzo Terragni, du nom de son architecte qui la construisit entre 1932 et 1936, mâtiné d’un autre bâtiment, plus récent, construit à Panama dans les années 1950 (Fort Gulik) dans la « zone du canal de Panama » alors sous autorité US – elle le restera jusqu’en 1979) la School of the Americas/ Escuela de las Americas, qui fut pour simplifier l’école où furent formés des milliers de soldats et les dictateurs qui allaient essaimer l’Amérique du Sud, et qui fut transférée aux USA, en Géorgie en 1984.

Escuela de las Americas (Fort Gulik, Panama)

Ainsi le décor même assoit la problématique politique et idéologique traitée par Marthaler dans l’œuvre. Si Néron, comme le dit Racine est un monstre naissant, comment naissent les monstres ?

L'espace

L’espace né des bâtiments cités ci-dessus et particulièrement connotés est une sorte d’atrium à deux niveaux, vaste espace vide dans lequel se meuvent les personnages, autour duquel on voit des portes fermées, des escaliers et des corridors, au rez-de-chaussée et au premier niveau, les seuls meubles sont des bureaux vides, distribués à chaque niveau.
C’est un espace d’administration, glacial, sans fioritures qui se présente comme tel dès le départ, avec ces « employés » qui frappent à chaque porte, en une sorte de symphonie de bruits, avec des circulations des uns et des autres vers des pièces mystérieuses.
Ce lancinant motif va courir toute la représentation : des personnels qui circulent, qui vont chercher qui des papiers, qui des prisonniers, qui leur font signer des documents, avec d’autres mouvements plus inquiétants (transferts de caisses mystérieuses remplies d’armes ou de grenades – il vaut mieux se prémunir- ou de cadavres qu’on traine comme si on ne savait pas où les ranger/cacher). Bref, il y a comme une sorte d’activité bureaucratique permanente, qui rappelle qu’il n’y a pas de totalitarisme sans bureaucratie, mais aussi que tous les personnages partagent cette oppression…

La bureaucratie est le pendant de la dictature : Il faut rappeler qu’une des surprises du visiteur lors d’une visite de camp de concentration nazi, c’est l’abondance de documents, de listes, de déclarations, bulletins, avec force timbres et signatures qui officialise l’industrie de l’élimination.

On est là dans la même logique : quand deux prisonniers sont emmenés on ne sait où, c’est à Drusilla, ici non pas la jeune et tendre innocente de la tradition, mais cadre du parti fasciste (en chemise noire et pantalon beige), à qui l’on fait signer le document qui sanctionne la décision d’emmener les prisonniers. De leur côté chaque prisonnier de manière répétée, avant de rentrer en cellule, signe auprès d’une employée un document. Tout cela est scrupuleux, précis, cynique et parfaitement conforme à ce qu’est ce type de régime. Il y a d’un côté le cercle du pouvoir, le cercle proche, et de l’autre une administration oppressante et tatillonne, précise, où tout est archivé et documenté. Sans aller jusqu’aux totalitarismes récents, la littérature russe est pleine de satires de la bureaucratie impériale (voir Gogol).
L’oppression est celle qu’un système exerce sur une collectivité et sur les individus, sans possibilité d’échapper. Chacun est un condamné potentiel. Dans un second temps cette oppression s’exerce sur les individus, puis celle des individus sur d’autres. Telle est la mécanique en action sur la scène où système, collectivité et individus sont un filet invisible d’oppression et de mort.
Le deuxième caractère de cet espace est son ouverture : tout se passe au vu et au su de tout le monde, et donc chacun peut espionner l’autre. Les portes à peine entrebâillées, qui laissent supposer qu’on écoute derrière, les regards des personnes de passage dans la coursive du premier niveau vers le rez-de-chaussée ou l’inverse mais aussi la lumière qui vient des portes vitrées, tout est lumineux et donc tout est piège, car de cette lumière naît l’ombre. Le paradoxe de ce décor, c’est qu’il est clair, lumineux, plein de vitres, c’est un décor qui fait respirer, et qui respire l’irrespirable. Irrespirable, le palais de Néron, plein de corridors et de portes visibles ou dérobées comme l’écrit Racine
(César pour quelque temps s'est soustrait à nos yeux.
Déjà par une porte au public moins connue,
L'un et l'autre consul vous avaient prévenue,
Madame. I, II, 135
), mais en même temps pas de lieu secret, pas de possibilité de se soustraire aux autres, et donc l’ambiance est lourde. D’ailleurs, les personnages discutent, et à peine entend-on Néron que chacun s’éclipse comme par magie. Et quand il n’est pas là, il y a au centre de l’espace une sorte de tapis en forme de squale, autour duquel chacun tourne, comme si même quand Néron était absent, il était tout le temps présent. Et quand on discute au centre du rez-de-chaussée, il y a toujours une porte qui s‘entrebâille, un personnage qui apparaît dans un coin, et qui écoute sans en avoir l’air ou qui écoute pour qu’on l’observe.
Marthaler a parfaitement su rendre cette atmosphère où tout se sait de tous, où pèse sans cesse la question « quand sera-ce mon tour ? » dans la mesure où le tour peut venir de tous, de chacun, et pas seulement du maître.

 

Des inserts musicaux et textuels en cohérence

À ce cadre à la fois clair par sa géométrie, sa lumière et son architecture et angoissant par son mystère et les mouvements étranges qui le traversent, correspond aussi le choix (habituel chez Marthaler, comme d’ailleurs chez son ancien compère Frank Castorf) d’insérer des éléments musicaux et textuels qui soutiennent la vision globale sans détruire ni la trame, ni les rythmes, ni les ambiances.

On ne cessera de répéter que la sacralisation de l’œuvre devenue intouchable est un fait récent ans l’histoire de l’opéra. Les œuvres voyageaient et variaient quelque peu : un air de ci de là ajouté ou retranché, ou modifié selon le théâtre, les chanteurs les circonstances voire les conditions politiques et donc les censures qui n’étaient pas les mêmes d’un état à l’autre. Pour l’Incoronazione di Poppea, on sait que tout n’est pas de la main de Monteverdi : l’œuvre est tombée dans l’oubli peu après la mort du compositeur (à mon avis insuffisamment magique et trop « sérieuse » pour faire spectacle) et on retrouve deux partitions, l’une à Venise en 1888 (datant de 1648) et l’autre à Naples en 1930 datant de 1651 qui diffèrent, avec des mains différentes dont certains compositeurs du temps (Sacrati, Cavalli, Ferrari). Ainsi donc il y a des problèmes d’édition qui peuvent ainsi donner licence à un metteur en scène affûté d’imprimer aussi aujourd’hui sa marque.
Dans cette production, la musique, avec un orchestre réduit à une douzaine de musiciens, comme à la création à Venise, fait aussi partie du décor, la fosse étant reliée au plateau par deux escaliers latéraux et en quelque sorte, incluse, si bien que la musique est à la fois présente comme accompagnement et commentaire de l’action, mais en même temps partie prenante. Et selon une pratique fréquente à l’époque baroque, Lawrence Cummings et Christoph Marthaler ont ajouté des morceaux qui ponctuent la dramaturgie, mais aussi éclairent les personnages ou la trame. C’est ainsi qu’il a ajouté un Madrigal de Monteverdi  , sublime chœur à six voix sur un texte de Pétrarque extrait du Huitième livre des Madrigaux Hor ch’el Ciel e la terra  (maintenant que le Ciel et la terre…) sur les errances de l’âme humaine prise entre chagrin, colère, paix, douceur et amertume ainsi qu’un air du compositeur bâlois Ludwig Senft chanté d’ailleurs par le chef lui-même qui monte pour l’occasions sur le plateau : ce n’est pas là exercice de style, c’est une manière d’inclure le chef et la musique dans la dramaturgie, donner à voir la musique en quelque sorte, mais aussi un Lied d’Arnold Schönberg accompagné sur instruments anciens et chanté par Kerstin Avemo (Poppea) sur un texte de Maeterlinck (auteur du livret de Pelléas dont Schönberg a fait un poème symphonique) « feuillage du cœur » sous le titre Herzgewächse, écrit en 1911, qui va servir aussi d’étude pour le Pierrot Lunaire et chantée pour la première fois en public à Vienne en 1928, en pleine ère fasciste en Italie. Mais il y insère enfin une chanson de Gainsbourg dite par Graham Valentine. À chaque fois, les inserts, loin d’être des pièces rapportées, s’insèrent dans le propos d’un e manière particulièrement sentie et fluide. Toute semble naturel, tout semble s’imposer sans heurts, c’est là aussi l’incroyable modernité de ce texte.

De fascisme, il est question dans les textes introduits, des discours signés d’Annunzio, et bien entendu Mussolini, dits par la figure de la muse fasciste de l’époque, sa fille Edda Mussolini, mais aussi par l’autre petite muse, Drusilla, dont on a déjà dit qu’elle est aussi un des rouages du système.

Chaque élément s’insère parfaitement dans le discours tenu par la mise en scène, Marthaler transpose l’époque de Néron à l’époque fasciste, par les costumes bien évidemment mais par forcément terme à terme, ce serait trop facile et même périlleux.  C’est le système Néron qu’il rapproche du système fasciste et il va en démonter le mécanisme implacable en montrant tour à tour comment les personnages non seulement ne peuvent s’en défaire, mais doivent composer avec, se compromettre au point que tous deviennent peu ou prou des figures sales.

La tragédie c’est d’abord un heurt, un heurt d’individus et de figures qui sont chacune ou chacun face à un mur. Et dans cette atmosphère très lourde et en même temps terriblement dérisoire, se dessinent des individus, se construisent ou s’imposent des figures a priori humaines, mais qui sont forcées de renoncer rapidement ou non à leur humanité par le système qui a été mis en place.

 

Des individus dans ce monde feutré de brutes

Dans cet espace aussi ouvert et lumineux que clos et sombre, tous se meuvent comme ils peuvent, et de très rares comme ils veulent. Nous avons évoqué Sénèque, figure vertueuse de référence, vue ici comme un professeur vaniteux que tous considèrent avec distance, mais qu’ils doivent suivre tant qu’il est le proche de l’Empereur. On écoute sans écouter mais on rit sous cape, surtout lorsqu’il doit lui aussi passer « de l’autre côté » selon la vieille loi de la roche Tarpéienne et du Capitole.
Mais Marthaler (tout comme Busenello d’ailleurs dont il tire la substantificque moelle) montre des figures qui presque toutes flirtent avec la roche tarpéienne, qui pour se sauver doivent y pousser les autres. Et autour des figures, toujours il crée des personnages en décalage, comme celle de Nutrice incarnée par Graham F. Valentine dont nous avons parlé plus haut (qui suit sa maîtresse en portant la statue de sa tête, comme déjà une image de son futur, ou comme celle de Valletta, confiée non à une jeune fille mais à Rosemary Hardy, vieille complice de Marthaler, qui était déjà la Ännchen « troisième âge » dans son Freischütz, voire Arnalta, déjà créée par Busenello comme caricature.

Edda Mussolini, la muse fasciste

Mais toujours aussi il crée des ombres, des figures plus ou moins abstraites qui traversent l’œuvre, et c’est le cas ici hautement symbolique d’Edda Mussolini, signalée ès qualité dans le programme pour que le spectateur comprenne bien son rôle.
Edda Mussolini incarna dans sa jeunesse la « nouvelle femme du régime fasciste italien », pas du tout la mère au foyer, mais la femme élégante, sportive, engagée et ferme soutien de son père dans ses liens avec les nazis qu’elle a toujours fortement admirés, au contraire de son époux le ministre des affaires étrangères Ciano.
Ciano s’était distancié de Mussolini et fut condamné, elle essaya de le sauver mais il fut fusillé en 1944, quant à elle, après la fin de la guerre et une courte période d’éloignement aux îles Lipari, elle revient à Rome et y vécut en toute quiétude jusqu’à sa mort en 1975.

Cette figure accompagne toute la représentation, elle intervient silencieusement pour vérifier que Sénèque est mort, elle est sans cesse derrière une porte ou observe toutes les manigances et tous les complots, elle lit quelquefois des textes de son père et à la fin devient une statue mythique du fascisme qui soutient le monde (une variation sur Chaplin) pendant que le couple Néron-Poppea chante pur ti miro. C’est l’ombre portée du système.

L’autre muse, c’est Drusilla, plus jeune, plus militante sans doute (elle aussi dit des textes du temps), elle est l’un des rouages administratifs, signe les emprisonnements ou les condamnations. Ce n’est pas une fraiche et gentille jeune fille naïve, elle est engagée auprès du système, mais amoureuse, ce qui est toujours une faiblesse dans ce genre de situation et qui rend Ottone d’autant plus odieux quand il lui demande ses habits pour aller tuer Poppea. Elle sera doublement traître, à son maître et au système qui l’a placée là.. Au bout du chemin, c’est la roche tarpéienne

Arnalta est le seul personnage qui déjà chez Busenello soit caricatural le seul personnage qu’on peut voir comique dans toutes les mises en scène du monde, déjà parce qu’Arnalta est chantée par un homme ou un vieux contreténor. Ici, évidemment Marthaler prend le public à revers. Cette Arnalta, chantée par Stuart Jackson n’est jamais caricature et n’en fait jamais trop. Mais l’interprète a un tel format physique qu’en soi il suscite les rires, sans d’ailleurs qu’il ne fasse rien en scène. D’ailleurs son air auprès de Poppea qui s’endortAdagiati, Poppea,
acquietati, anima mia (repose-toi Poppée/sois tranquille mon âme) est l’un des moments les plus forts musicalement de la soirée, où Stuart Jackson montre par son chant une suavité, une humanité, une tendresse extraordinaires. Cette Arnalta tranche décidément sur les habitudes.

Graham F.Valentine (Nutrice) Anne Sofie von Otter (Ottavia)

Ottavia n’a rien à voir avec le personnage de l’histoire qui était plus jeune que Poppea.
Là encore en confiant le rôle à Anne Sofie von Otter, sexagénaire, mais en même temps une légende du chant, il en fait une figure que tous attendent, qui traverse la pièce tout de noir vêtue, une veuve pas joyeuse du tout, avec son sac, ses gestes bruts ou un peu syncopés, En fait derrière Ottavia, c’est aussi Agrippine que voit Marthaler. Certes l’histoire nous enseigne qu’Octavia a été mariée par Agrippine à Néron, et Agrippine qui voulait trop se mêler des affaires de son fils et du pouvoir a été éloignée d’abord puis assassinée en 59, trois ans avant les événements relatés dans la pièce de Busenello. Mais ici, il est clair qu’Ottavia endosse le rôle d’épouse un peu matrone, et le rôle de fantôme maternel. Comme pour Arnalta, Marthaler utilise la taille d’Anne Sofie von Otter, plus grande que Nerone (Jake Arditti ici), plus grande que Poppea, que Drusilla et d’Ottone, pour en faire une figure statuaire de vague commandeur qui convient bien à sa réputation de parangon de vertu.
Mais elle entre elle aussi dans les complots (excellent rappel d’un texte de Machiavel dans le programme de salle sur les complots) et se met à vouloir faire assassiner Poppea en instrumentalisant Ottone, montrant par le but (assassinat) et le moyen (Ottone) qu’elle est bien digne de ce palais et de tous ses personnages, s’approchant ainsi plus vite encore de la roche tarpéienne…

Kerstin Avemo (Poppea)

Enfin Poppea, qui n’est pas vue comme la femme plutôt mûre et intrigante, mais comme un jeune femme pleine d’ambition, au style et aux habits de star de cinéma (on pense fugacement à Marilyn Monroe, j’ai pensé pour ma part à Wanda Osiris, reine de la revue en Italie dans les années 1930, quand elle affiche quelques tenues plutôt légères)
Elle est aussi physiquement « légère » qu’elle a bien la tête focalisée sur son ambition impériale, double jeu en permanence, presque une enfant dans les bras d’Arnalta, et assise comme une impératrice quand Nerone se traine à des genoux comme un animal en demande.  Sans cesse dans sa marche vers le pouvoir, comme le montre sa joie à la mort de Sénèque, elle est l’exemple même du personnage-anguille qui échappe à tout et à tous, comme lors de la tentative de meurtre maladroite d’Ottone. Chaque moment de l’œuvre la rapproche de son but, tranquille, sans sourciller, délicieuse et glaciale. Au bout du chemin, le Capitole.
La première apparition est d’abord sonore, on entend de loin « pur di miro » l’air final tellement fameux, et Poppea et Nerone sortent d’une des pièces pendant qu’une porte s’entrebâille lentement ne laissant pas voir qui est derrière, mais bientôt en sort Ottavia. Manière claire pour Marthaler de rendre scéniquement visible la situation et le monde tel qu’il est. Le trio est en place, mais aussi l’espionnage, les regards obliques et les vengeances qui marinent.

Owen Willetts (Ottone vêtu en Drusilla)

Face à ces femmes duplices ou engagées, les hommes semblent singulièrement faibles, y compris Nerone. Ottone sera empereur, même brièvement, ce qui le place comme en regard de Nerone et de fait ils se ressemblent assez par le physique dans cette mise en scène.
Ottone n’est pas un monstre naissant, mais d’emblée un funambule. Il fut marié à Poppea, qu’il aime encore, mais qu’il ne peut plus approcher. Il joue à l’amour avec Drusilla, mais comme il dit :
Drusilla ho in bocca, (e ho Poppea nel core)/J’ai Drusilla sur les lèvres (et j’ai Poppée dans le cœur). Comme les autres, il est donc duplice, comme les autres il ment, mais il est aussi le faible. Dans les jeux de pouvoir et les intrigues de palais, il est menacé par un chantage d’Ottavia, pas plus vertueuse que les autres, et doit donc céder à son ordre de tuer Poppea.
Pour ce faire, il entraine Drusilla malgré elle dans la trahison et la complicité en lui prenant ses habits : elle sera accusée à sa place quand on découvrira l’assassinat de Poppea. Il ne vaut pas mieux que tous les autres.
Chez Busenello, pour respecter l’histoire, la grande, Ottone qui a raté son coup est pardonné et exilé avec Drusilla. Chez Marthaler, la scène du pardon et de l’exil est coupée, Et donc le couple sort, emmené on ne sait où (mais on sait très bien où)

Jake Arditti (Nerone), au fond cadavre de Senèque

Last but not least, Nerone.
Il apparaît souvent dans l’uniforme blanc qu’affectionnait Mussolini. Marthaler en fait un jeune homme agité, qui par sa présence seule terrifie tous les autres sauf Poppea aux pieds de laquelle il se traine ou se prosterne. En fait, le mécanisme qui est montré, c’est le pouvoir absolu et la peur qu’il provoque alors qu’en fait la réalité c’est la totale soumission de l’Empereur au bon vouloir de la jeune femme, dès le début, et donc la perversion du pouvoir ou plutôt l’absence d’exercice du pouvoir, sinon par le désir ou l’arbitraire, le bon plaisir ou du moins le bon plaisir de Poppea. Au total, aussi bien Nerone que Ottone apparaissent comme des faibles ou des marionnettes maniées par des femmes, Ottavia d’un côté, Poppea de l’autre. La Vertu et la petite vertu…

Et tout autour des protagonistes, les personnages secondaires qui sont les rouages de la mécanique, les outils, les vis et les rivets du système qui font quelquefois comme un chœur qui accompagne l’action, la considère et y participe, parce que dans le système tel qu’il est, le « en même temps » n’existe pas, on est ou dedans, ou dedans. Sans autre choix que de suivre. Ainsi les « petits » personnages semblent interchangeables sur le théâtre (mais pas vocalement comme on le verra).

La scène finale

Au total, tous les fils sont en place avec une effrayante logique, et toute les scènes finales se déroulent avec l’air de chaque personnage, adieu (Ottavia) ou pari sur le futur (Arnalta), mais d’abord Arnalta chante son air final fameux où elle se voit comme nourrice de l’impératrice, mais parallèlement à Nutrice (la nourrice d’Ottavia) elle s’allonge après son air, elle meurt. Ottavia s’apprêtant à partir en fait s’allonge sur le sol et meurt. Alors entre le cadavre de Sénèque sur son brancard, et Drusilla et Ottone, au sol. Tous les personnages sont à terre, morts, pendant qu’au milieu, la muse fasciste Edda semble une statue soutenant le monde, debout sur un piédestal de caisses de grenades et Nerone et Poppea chantent « Pur ti miro ».
Mais à peine l’air terminé, Nerone s’écroule, mort, pendant que Poppea tend la main à la muse statue qui descend de son Piédestal et elles vont toutes deux vers leur futur, ayant conquis le pouvoir de la manière qu’il se doit, pendant qu’au tableau noir, au lieu des formules cryptiques de Sénèque, sont écrits la liste des empereurs Julio-claudiens morts dans des conditions non élucidées ou trop bien connues, Tibère, Caligula, Claude, Néron.
Rideau.

La musique continue l’effet de mise en scène

Dans l’entreprise de Marthaler, il serait erroné de considérer la musique à côté de la mise en scène. D’abord parce que Marthaler est lui-même musicien et que toutes ses mises en scène ont des caractères musicaux, notamment au théâtre. Alors son travail à l’opéra, sans tirer toujours vers le théâtre musical, essaie de traduire une musicalité propre, destinée à faire émerger une vérité de l’œuvre qu’on ne soupçonnait pas forcément.
Si vous avez en fosse un orchestre relativement important dans l’Incoronazione di Poppea, même d’une trentaine de musiciens, vous créez la structure de base de l’opéra, scène+fosse, avec les problèmes inhérents de liaison, de coordination, et aussi les problèmes sonores. Il est clair que la version Leppard, dans laquelle le découvris l’œuvre à l’Opéra de Paris, sonnait « vrai opéra » d’autant que la distribution ne faisait pas mentir Wagner (Vickers, Jones, Ludwig, Ghiaurov). Elle avait l’avantage de faire surgir le livret de Busenello dans toute sa force opératique, à côté des grands Mozart ou des grands Verdi.

Comme je l’ai signalé plus haut, La Cetra Barockorchester est totalement incluse dans le dispositif, comme une présence permanente, presque intérieure et intime avec sa douzaine de musiciens comme à la création produisant un son à la fois délicat et rèche, dramatique et suave, un son qui prolonge la voix ou qui la soutient, un son qui est dans le plateau et non pas en dehors. Cette continuité sonore scène fosse est vraiment une spécificité du spectacle qui donne à la fois l’impression de vrai théâtre musical et une couleur paradoxale qui allie distance et intimité. L’espace vaste devrait nous amener à l’idée d’opéra, mais  le son nous ramène à l’intime et donc c’est ainsi ce jeu tressé d’intimité et d’espace qui gouverne l’ensemble de la représentation.
Et le chef Lawrence Cummings chantant sur le plateau un air de Ludwig Senft devient du même coup l’un des acteurs de plateau, l’un des passeurs d’ambiance, d’une ambiance bouleversante au moment où l’ensemble du plateau chante un madrigal de Monteverdi – un des moments suspendus de la soirée- et où même Schönberg paraît être en cohérence de couleur avec l’ensemble (ce Schönberg sur instruments anciens a quelque chose de poétique et déchirant). Menés par Lawrence Cummings, les musiciens produisent un son acéré, précis, clair, jamais envahissant mais toujours présent, qui fonctionne presque comme continuo permanent, comme commentaire sonore de ce qui se passe sur le plateau mais aussi comme une cantilène. D’ailleurs, l’interruption de l’orchestre au départ qui jouait seul pour laisser passer sur scène le cadavre d’amour est une manière de nous dire « place au théâtre », un théâtre multipolaire et pourtant tellement unifié. Il est clair que sans cet orchestre à la fois plein et grêle, subtil et suave, mais rude et acéré aussi, cette musique presque lancinante, qui confine à l’étouffant quelquefois ne serait pas pleinement en phase avec ce qui se passe en plateau comme elle l’est à chaque moment du spectacle. Une telle mise en scène ne supporterait pas un ensemble musical plus important, nous serions trop à l’opéra, et pas assez voyeurs d’un drame à la fois cosmique et intime. Et l’on se dit, et l’on se répète à l’envi combien cette musique est incroyable par sa subtilité, par sa théâtralité, par sa présence, tellement, tellement en avance sur l’immédiat futur du chant baroque.

Et dans ce moment de théâtre tellement fort, tellement prenant et surprenant, chaque voix, du rôle d’appui fugace aux protagonistes possède la force, la présence l’expression, parce qu’elle est travaillée d’abord pour sa force théâtrale. Ainsi des deux membres du Studio du Theater Basel Lulama Taifasi (Lucano) et Jasin Rammal-Rykala (Littore) et du ténor Karl Heinz Brandt, ancien de la troupe du Theater Basel (Liberto), forts présents vocalement et scéniquement.
Il y a ensuite les acteurs de Christoph Marthaler, Liliana Benini, l’actrice qui interprète Edda Mussolini, et qui a participé à diverses productions de Marthaler dont Giuditta à Munich dont nous avons rendu compte, sorte de présence permanente et presque muette sinon par quelques discours de l’époque fasciste, qui devient une sorte de cheffe d’orchestre de l’expiration de l’ancien monde, finissant par guider Poppea vers son futur radieux…

Rosemary Hardy, actrice chanteuse fétiche de Marthaler, ici Valletta. Cette spécialiste de musique contemporaine est ici une Valletta d’âge très mûr, mais la valeur n’attend pas le nombre des années dans une production où les personnages sont des figures et non des correspondances terme à terme à notre horizon d’attente, elle fait partie des fantômes familiers d’une ambiance à la Marthaler, mais aussi des êtres qui traversent ce tableau d’humanité au bord du gouffre, tout comme Graham F.Valentine, Nutrice qui fait pendant à Arnalta en tout autre style, plus frêle, en décalage par son débit fragile et son langage en français, et utilisant ses capacités de mime à reproduire les gestes de sa maîtresse et aussi ceux d’Arnalta dans son chant final, où chacun à un côté opposé de l’orchestre, ils expirent ensemble avec les mêmes gestes. Graham F.Valentine pourrait devenir comique, il ne l’est jamais, devenant presque une figure poétique teintée de mélancolie et d’amertume.

Stuart Jackson (Arnalta)

De Stuart Jackson (Arnalta), Marthaler construit d’abord une présence scénique affirmée par le format physique du chanteur, utilisé ici dans son opposition à la frêle Kerstin Avemo (Poppea) que Stuart Jackson peut aisément masquer totalement dans des jeux de scènes désopilants, sans que jamais il ne soit vraiment ridicule, même dans son air final, chanté au proscenium comme un chant du cygne à un moment où tous expirent. Mais c’est dans la berceuse chantée à Poppea dormante, signalée plus haut, que Stuart Jackson atteint à l’émotion pure. Je crois ne pas avoir jamais entendu ce moment chanté avec une telle tendresse, une telle douceur et en même temps une telle intensité. Un très grand moment d’opéra.

Andrew Murphy est un des piliers de la troupe du Theater Basel à laquelle il appartient depuis 2001. Il est ici le Seneca un peu insupportable de vanité voulu par la mise en scène, avec une voix légèrement fatiguée, mais qui convient parfaitement au rôle ici, de ce Seneca qui émet des aphorismes que personne n’écoute plus et qui se rattache à ce qu’il croit être sa gloire et son statut. Il est théâtralement puissant, d’autant que sa mort qui se veut grande est atténuée par l’entourage qui ricane et qui rend le discours vide. C’est un Seneca qui semble tourner à vide dans un monde qui n’a que faire de la philosophie, d’autant le philosophe lui-même est impliqué largement dans le système. Et Andrew Murphy s’en sort ici avec tous les honneurs et remporte un gros succès de la part de public qui lui est familier.

Autre membre de la troupe, Álfheiður Erla Guðmundsdóttir, qui est cette Drusilla étrange et duplice voulue par Marthaler qui insiste sur l’implication de tous dans le système, sur l’impossibilité du choix. Il s’appuie sur l’exemple fasciste, par les liens avec le modèle de la Rome antique (référence explicite du pouvoir fasciste), mais en réalité, il montre les mécanismes qui régissent tout système totalitaire soumis à un maître dont tout dépend et qui déclenchent dans l’entourage tous les mécanismes les plus pervers pour se maintenir à flot, effaçant tout libre-arbitre, au service au mieux d’une ambition (Poppea) au pire d’une lâcheté individuelle (pas de vagues). Dans ce panier de crabes, Marthaler fait de Drusilla un rouage, une belle petite fasciste de première fraicheur. Habituellement, elle est un personnage amoureux, naïf et plus ou moins victime d’un Ottone qui l’instrumentalise. Ici, son rôle de rouage accentue encore le rôle négatif de Ottone, qu’elle essaie à son tour de manipuler, mais ses interventions auprès des prisonniers-condamnés en fait une employée modèle du système, piégée par les jeux du pouvoir et victime de la chaine d’instrumentalisation. Álfheiður Erla Guðmundsdóttir, chanteuse islandaise, qui s’est formée à Berlin a une voix claire, bien posée, assez émouvante et une diction appréciable. Sa culture dans le Lied donne aussi à certains accents une couleur poétique qui n’est pas indifférente. Une vraie personnalité vocale.
Ottone est Owen Willetts, au physique qui n’est pas sans rappeler celui de Nerone si bien qu’on peut voir en lui un futur avatar de l’empereur, ce qui historiquement n’est pas faux et qui finira par se donner la mort. Sa figure historique est plutôt vue positivement par les historiens anciens. Ici, il est comme les autres, amoureux de Poppea qui essaie de manipuler Drusilla : le couple est ici une sorte de faux couple d’amoureux dans un jeu de « poker menteur » qui finit mal. Owen Willetts est un contreténor efficace même si la voix ne s’impose pas toujours totalement mais c’est aussi effet d’une certaine délicatesse, d’une certaine suavité qui évidemment fait contraste avec la duplicité du personnage, revenu de loin et encore pris dans les rets de l’amour pour Poppea, celle qui désormais est la chose du maître. C’est tout l’équilibre subtil de cette production qu’un chant souvent délicat et subtil émis par des petits ou grands monstres.
Beaucoup n’avaient d’yeux que pour la légende de la soirée, Anne Sofie von Otter, légende vivante du chant, du Lied, qu’on a vue pour Marthaler à Bâle en Grande Duchesse de Gerolstein entre Offenbach et baroque dans un spectacle sublime qui dénonçait les guerres au lieu d’en faire un objet de rire, on l’a vue encore pour Marthaler à Madrid en Muse délavée dans des Contes d’Hoffmann doux-amers, et la voilà en Ottavia matronale, veuve noire comme nous l’avons écrit plus haut, qui traverse la scène de manière fantomatique, avec quelques gestes maniaques. Elle est sans conteste LE personnage de cette production, plus Agrippine qu’Ottavia, comme une sorte de reproche vivant (et impuissant) au maître des lieux. Dans ses deux lamentos (Disprezzata regina e Addio Roma), elle impose un style qui laisse béat d’admiration d’abord pour la ductilité vocale, l’incroyable manière de projeter, de colorer chaque note, de moduler, sans jamais donner l’impression de forcer. Elle fait de ces deux moments des Lieder, parce que derrière, c’est tout un univers, tout un paysage qui se lit, un paysage de dévastation, de fin du monde et d’impuissance.
Et puis à côté de ces moments sublimes, elle est un des personnages du système, elle rit avec les autres en offrant le poison à Sénèque tout en chantant « Non morir Seneca », un des paradoxes sarcastiques de Marthaler, elle menace méchamment Ottone, avec la rage des déchirures et des blessures, mais aussi avec le pouvoir que détiennent (encore) les maîtres et par ce biais, Marthaler nous dit qu’elle ne vaut pas mieux que tous les autres.
Elle se glisse dans toutes ces attitudes, toutes ces postures avec un naturel et une facilité qui déconcerteraient presque.Son Addio Roma est un moment anthologique tant la diction est claire, tant les mots sont sculptés et vu la fin, c’est non un chant d’adieu mais un chant du cygne : du grand art.

Jake Arditti (Nerone) Kerstin Avemo (Poppea)

Reste le couple Nerone/Poppea, qui ouvrait sur un lointain pur ti miro, et qui clôt le spectacle sur un pur ti miro aussi éthéré qu’empoisonné comme on l’a vu.
Jake Arditti était un Nerone un peu jeune fou et ambigu dans la production Ted Huffman à Aix, il est ici un autre Nerone, chemise noire et pantalon brun, puis bel uniforme blanc, il est ce monstre pour tous, et un petit animal soumis pour Poppea. Acteur vif, mobile qui montre bien les côtés veules du personnage et ses déséquilibres, ce qui le rend d’autant plus dangereux. Quand un système a une clef de voûte déséquilibrée, il est structurellement menacé. Marthaler montre justement que Poppea se sert de ces fissures pour s’imposer « costei pensa al comando » (celle-là pense au pouvoir…) dit d’elle Ottone . C’est aussi ce que subtilement montre Marthaler, les fissures du pouvoir et ses apparences. Le monstre naissant devenant l’animal domestique d’une Poppea en marche. Jake Arditti est bon acteur et bon chanteur, la voix a de la puissance et beaucoup de présence, les aigus sont bien négociés, l’expressivité toujours forte parce que c’est un bon interprète, sensible, qui sait incarner la contradiction du personnage, ce qu’il est et ce qu’il veut faire apparaître. Et en même temps, ce qui est notable dans un tel répertoire où la forme et les artifices de style peuvent être prépondérants, il reste toujours naturel, fluide, presque évident. Belle performance.
On se rend compte tout particulièrement des possibilités vocales de Kerstin Avemo en l’entendant dans le Lied de Schönberg, Herzgewächse qui sollicite fortement l’aigu, sorte de moment d’évocation des intermittences du cœur. Elle construit un personnage vif, jeune, assez chafouin, à la fois pleine de charme, mais assez froid, sans tendresse ni fragilité. Monstre naissante en quelque sorte. Physiquement assez starlette de cinéma, elle rend l’amour (paraît-il sincère historiquement) de Nerone pour elle une sorte d’infatuation, de désir irrépressible du moment dont elle joue et dont elle va profiter aussi vite que possible tant elle sait que les choses d’amour sont fugaces, notamment dans une production où Amore est tué dès le début et où c’est une vieille valletta (Rosemary Hardy) qui reprend ses répliques. Pas de temps à perdre. Elle est une interprète versatile, avec un côté petite fille aux côtés d’Arnalta, et petite peste aux côtés de Nerone, avec les couleurs vocales idoines. C’est une prise de rôle réussie parce qu’elle s’affirme vocalement et scéniquement, avec un chant varié, qui ne distille jamais l’ennui, et un personnage de conquérante ambitieuse, qui détruit tout sur son passage. Elle quitte la scène avec la muse Edda à la fin en ne laissant derrière que des cadavres.
Les cadavres… Le prix du pouvoir selon la parabole de Marthaler.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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