A l’Opéra-Comique, une Heure espagnole couci-couça

- Publié le 12 mars 2024 à 14:45
Malgré un plateau convaincant, les partis pris parfois déconcertants de la mise en scène et les défaillances de l'orchestre plombent une soirée partagée entre ballet et opéra.
L'Heure espagnole à l'Opéra-Comique

Réunir à l’affiche d’un même spectacle Pulcinella de Stravinsky et L’Heure espagnole de Ravel répond à une « envie » de Louis Langrée. Ce rapprochement n’a rien d’absurde : le « ballet avec chant » de Stravinsky et la « comédie musicale » de Ravel, créés l’un au palais Garnier en 1920 l’autre salle Favart en 1911, jouent avec les ressorts du théâtre et regardent tous deux vers le XVIIIe siècle galant. Le premier y puise carrément son inspiration à travers la commedia dell’arte et les musiciens du temps de Pergolèse tandis que le second se contente d’y voir une toile de fond pour son vaudeville revisité par Franc-Nohain.

Comme trait d’union visuel entre les deux ouvrages, Guillaume Gallienne et Sylvie Olivé ont imaginé un escalier. Conçu comme un élément d’architecture urbaine où l’on se croise, il représente aussi, chez Stravinsky, l’esquisse d’un arbre auquel Pulcinella fera mine de se pendre et, chez Ravel, la séparation entre la boutique et la chambre entre lesquelles le muletier fera ses va-et-vient. Le décor se résumant à cela, Torquemada devra démonter sur ses genoux la montre de Ramiro. Songez si c’est commode !

Plateau séduisant

Le metteur en scène trouvait-il sa besogne trop facile ? Il ne cesse d’en rajouter ou d’aller à l’encontre de la partition. A l’image de cette Introduction durant laquelle des badauds (dont les protagonistes !) se croisent et se recroisent alors qu’elle devrait nous plonger dans le calme absolu de l’atelier du bijoutier. Et cette horloge qui « ballotte » toute seule contre le mur, quand Ravel et Franc-Nohain l’ont déjà installée sur le dos de Ramiro…

On oublie un peu ces invraisemblances grâce à l’abattage des interprètes. En épouse insatisfaite, Stéphanie d’Oustrac est fabuleuse de piquant, de sourire ou de soupir dans la voix, prenant à témoin de son infortune le public autant que Ramiro, un Jean-Sébastien Bou, plein de délicatesses et de candide séduction. La perruque dont Gallienne affuble le Gonzalve de Benoît Rameau (ténor ciselé), le pantalon baissé du Don Iñigo Gomez de Nicolas Cavallier (épatant en vieillard trémulant), le « bijou de famille » qui pend à hauteur d’entrejambes chez Ramiro, le sourire idiot que Philippe Talbot arbore d’un bout à l’autre en mari cocu (dont l’assurance vocale est bien en rapport avec l’intelligence commerciale) renvoient aux pièces de boulevard. Mais dans ce théâtre qui se joue du théâtre, pourquoi pas ?

Désordres dans la fosse

Le vrai poids mort de ce spectacle, c’est l’Orchestre des Champs-Elysées, dont la monochromie, les approximations et l’absence totale de poésie, de subtilités (entre mille exemples, où est le vibrato lorsque Don Iñigo entrevoit avec « ivresse » le moment où il sera, en même temps que l’horloge, dans la chambre de Concepcion ?) rendent méconnaissables les savoureux alliages de timbres et les nuances si fouillées de l’orchestre ravélien. Y a-t-il un chef dans la fosse ?

A quoi rime enfin cette approche « baroquisante » de Pulcinella, quand l’ouvrage devrait sonner davantage comme du Stravinsky que du pseudo-Pergolèse ? Caricatural, ce festival de sonorités rêches et malingres, de traits hasardeux (le solo de contrebasse) et de fausses notes à la pelle (les vents…) tape vite sur le système. C’est dommage pour le trio vocal, dominé par Camille Chopin. Mais un faux Amoureux de Peynet en guise de héros et une chorégraphie gnangnan ne nous sauvent guère de l’ennui.

Pulcinella de Stravinsky. L’Heure espagnole de Ravel. Paris, Opéra-Comique, le 9 mars. Représentations jusqu’au 19 mars.

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