Chroniques

par bertrand bolognesi

Beatrice di Tenda | Béatrice de Tende
opéra de Vincenzo Bellini

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 9 février 2024
Entrée au répertoire de l'Opéra de Paris de BEATRICE DI TENDA de Bellini (1833)
© franck ferville | opéra national de paris

En ces premiers temps de l’année (encore un peu) nouvelle, l’entrée au répertoire de l’Opéra national de Paris d’un ouvrage ancien qui n’y avait point encore trouvé place fait événement. Créé le 16 mars 1833 au Gran Teatro La Fenice (Venise), le pénultième des dix opéras de l’éternellement jeune Vincenzo Bellini, mort à trente-trois ans d’une infection chronique des voies digestives (foie et colon, principalement) tandis qu’il séjournait à l’alors paisible village de Puteaux, n’avait pas encore connu les honneurs de la première scène de France. La chose se fait ce soir même, dans une production de Peter Sellars qui, curieusement– si l’on se souvient des mises en scènes que l’artiste nord-américain signait autrefois –, manque singulièrement d’audace. Avec la complicité de George Tsypin, Sellars résume les divers espaces du Castello di Binasco en un parc que trace un dispositif rigide en guise de haies de buis. Tout juste un portique placé en surplomb côté jardin vient-il rehausser un décor de temps à autre animé par des subterfuges lumineux (James F. Ingalls), sans plus. Camille Assaf, quant à elle, réalise une vêture intemporelle, propre à interroger torture et peine de mort dans notre contemporanéité – la veille de cette première parisienne s’est éteint Robert Badinter grâce auquel la peine capitale fut abolie par chez nous, le 18 septembre 1981.

Beatrice di Tenda, sur un livret de Felice Romani conçu d’après la tragédie homonyme du comte Carlo Tedaldi Fores – poète cremonese qui lui aussi s’éteignit tôt (dans sa trente-septième année) –, représentée à Milan en 1825, ne suscitera guère de réel enthousiasme, cette fois, il le faut bien avouer. L’œuvre n’est pas à mettre en cause : elle est de son temps, s’inscrit dans une ligne romantique dont la verve protestataire annonce Verdi, et vérifie le belcantisme que l’on attend bien du compositeur sicilien, grand mélodiste pour lequel même Nono témoignait d’une sincère admiration. Le travail scénique a pour seul mérite de respecter l’argument, ce qui déjà n’est pas si mal, et de le mener jusqu’à ses développements ultimes. Par cet aspect, et par-delà un choix esthétique sur lequel il ne rimerait à rien de s’exprimer plus avant, il remplit sa charge… mais c’est tout : qui vient ici chercher un rien de théâtre en sortira sur sa faim.

La soirée repose donc essentiellement sur l’interprétation musicale. Mais, là encore, tous les ingrédients ne répondent pas forcément avec le même bonheur. Si la distribution vocale satisfait, globalement, la direction de Mark Wigglesworth laisse songeur. La régularité est certes une garantie indispensable à la bonne exécution de ce répertoire qui nécessite une rigueur certaine, mais encore trouve-t-il avantage à quelque vivacité, qualité qui fait ici cruellement défaut. Tout juste la fosse, sous l’impulsion du chef britannique [lire nos chroniques de Mitridate et de Dead man walking], s’animera-t-elle au second acte, sans pour autant constituer le support expressif qu’il s’en devrait émaner. De même, bien que dûment préparé par Ching-Lien Wu, le Chœur de l’Opéra national de Paris s’avère à la peine lors de ses premières interventions, affirmant plus saine assurance par la suite, jusqu’à réaliser des numéros d’une fort belle tenue.

Des chanteurs survient, par conséquent, le seul plaisir de cette Beatrice. Issu du Chœur maison, le ténor coréen Taesung Lee campe un Rizzardo del Maino parfaitement fiable. Si le mezzo-soprano Theresa Kronthaler possède incontestablement une couleur vocale attachante et une présence somptueusement expressive, le format paraît induire une lâcheté de l’impact qui nuit considérablement à la stabilité de la ligne. Aussi son Agnese del Maino ne convainc-t-elle pas [lire nos chroniques de Neues vom Tage et d’Hamlet]. D’abord quelque peu monolithique, le baryton-basse Quinn Kelsey mène peu à peu son incarnation de Filipo Visconti vers le sommet, grâce à un timbre riche d’une palette de nuances ingénieusement cultivée, propre à rendre compte des contradictions et des doutes d’un personnage pris au piège de ses passions [lire notre chronique de Rigoletto]. On retrouve avec joie le ténor Amitai Pati et son chant soigneusement ciselé en Anichino plus qu’efficace [lire notre chronique de Roméo et Juliette]. Le rôle d’Orombello revient à son frère aîné, l’excellent Pene Pati dont la lumière vocale, proprement melliflue, inonde le plateau, avec une technique qui se joue sans ciller de l’écriture exigeante de Bellini [lire nos chroniques de Moïse et Pharaon et de La bohème]. Enfin, le soprano Tamara Wilson distille les effets de sa Beatrice [lire nos chroniques de Die Feen et d’Adriana Lecouvreur], suspendant sans relâche l’auditeur à une prestation savamment nuancée, bénéficiant d’une émission idéalement sertie qui magnifie le rôle-titre créé par la Pasta.

BB