Radieuse Cleopatra à l’Opéra de Paris

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Pour sa mise en scène de Giulio Cesare (2011), Laurent Pelly a placé l’action ... dans les réserves du Musée du Caire. Les caisses, tapis, morceaux de statues, palettes valsent ainsi à côté d’une grille de monte-charge tandis que Jules César triomphe de Pompée et se laisse séduire par Cléopâtre.

Si les éclairages comme les mouvements bien réglés ont conservé leur efficacité et parfois leur poésie, en revanche, l’humour « potache », la dispersion (intrusion de tableaux XIXe et de jeunes marquises) et l’esthétique de bande dessinée amusent sans convaincre. Le morcellement visuel et la profusion de petits éléments pénalisent par ailleurs les spectateurs les plus éloignés. Enfin, ces procédés divertissants mais réducteurs privent le chef-d’œuvre de Haendel de ses proportions tragiques et, par ricochet, de sa vérité humaine.

La « revival director » Laurie Feldman n’a malheureusement remédié à aucun de ces inconvénients.

Pourtant Haendel reste présent et on se laisse surprendre par ces pages, célèbres dès la création en 1724, où la beauté prend littéralement à la gorge -duo de la fin du premier acte (Cornelia et Sesto) Son nata a lagrimar, déploration de Cléopâtre Se pieta di me non senti, ou désarroi de Cesare sortant du naufrage Dall’ondoso periglio en symétrie avec le célèbre Piangero la sorte mia ( III) de Cleopatra qui le précède, pour ne citer qu’eux.

L’intérêt de cette reprise réside, comme souvent, dans le renouvellement de la distribution. Avec une limite de taille : le compositeur adaptait sur mesure la vocalité de l’écriture aux profils de chaque interprète. Il arrive ainsi que l’adéquation du chanteur actuel avec le rôle suscite quelques contorsions peu confortables. Il arrive également de belles découvertes.

A l’exemple de Lisette Oropesa qui, après avoir triomphé sur les scènes internationales -Traviata, Gilda, Lucia di Lammermoor, récemment Ophélie, comme dans les premier rôles de Mozart, Rossini, Bellini, Donizetti, propose ici une radieuse incarnation de Cleopatra.

Ballerine, gymnaste, elle se joue des chausse-trappes scéniques prêtant sa vivacité, sa grâce et son chic à la séductrice égyptienne, allant jusqu’à s’approprier des mimiques de meneuse de revue -on pense à Mistinguett- conçues à l’origine pour Natalie Dessaye.

Du premier au dernier instant, elle déploie sans faiblir un chant lumineux, sain, fruité à souhait. Elle sait également susciter l’émotion lorsque, souveraine déchue, elle se révèle dans sa vérité de femme et sa dignité. Il est permis de chérir les Cléopâtres valétudinaires qui compensent la ténuité par l’agilité mais, également, d’admirer chez cette grande rossinienne la plénitude d’un chant qui, jusque dans des ornements, se met uniquement au service de l’expression.

Emily d’Angelo, mémorable Ariodante sur la même scène il y a quelques mois, campe un Sesto d’une intensité rare. Le geste est sobre, toujours juste et mené jusqu’à son accomplissement. Elle surmonte les difficultés de la tessiture et parvient à varier des émotions simples -vengeance filiale ou désespoir. L’alliance de son timbre avec celui de la contralto Wiebke Lehmkuhl, Cornelia, offre des moments superbes. Quant à l’’infortunée souveraine, elle touche par un phrasé onctueux en dépit d’un jeu scénique des plus hésitants.

De belle prestance, la mezzo-soprano Gaëlle Arquez reste en deçà des attentes du rôle-titre de Giulio Cesare faute de projection et de mordant. La douceur du timbre se prête mieux à son air du troisième acte justement applaudi.

La basse française, Adrien Mathonat, confirme l’excellente impression laissée par sa brève intervention en Arbre dans L’Enfant et les Sortilèges, cette fois dans le rôle du tribun Curio.

En frère félon, le contre-ténor britannique Lestyn Davies (Tolomeo) fait preuve d’une présence scénique presqu’inquiétante tandis que le second contre-ténor de la distribution, Rémy Bres s’empare du rôle du confident Nireno avec une assurance et une versatilité très efficaces. La variété des timbres se complète avec le baryton-basse, Luca Pisaroni (Achillo).

La direction prudente d’Harry Bicket comme la présence dans la fosse des musiciens de l’Opéra sur instruments actuels n’offrent pas encore, en ce soir de première, le support et la liberté propices aux cadences.

Une fois l’inhibition baroque surmontée, le plaisir de la conversation en musique voix-instrument s’imposera de lui-même.

Bénédicte Palaux Simonnet

Opéra de Paris, salle Garnier, le 20 janvier 2024

Crédits photographqiues : © Vincent Pontet / OnP

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