Titanic peine à émerger à l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz

Xl_231220n158 © Luc Bertau - Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz

Le malheureux tort de Titanic, le musical de Maury Yeston et de Peter Stone, est, pour le spectateur francophone, d’arriver après le film de James Cameron, alors que sa création à Broadway a pourtant précédé de plusieurs mois (en 1997) la sortie du blockbuster. L’imagination se plaît donc à voguer vers une histoire d’amour entre Rose et Jack, vers un pendentif de diamants ou vers la course au gigantisme, alors que les deux œuvres n’ont aucun lien de parenté direct. L’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz se frotte à cette comédie musicale pour les fêtes, et l’impression finale se révèle mitigée, pour l’indigence de sa mise en scène et le niveau général à peine correct de sa distribution.

Le nouveau paquebot de la White Star, conçu pour dépasser en proportions les chantiers des compagnies concurrentes, part du port de Southampton le 10 avril 1912. La collision fatale avec un iceberg la nuit du 14 au 15 avril entraîne son naufrage quelques heures plus tard. Sur les quelque 2200 passagers (dont 900 de personnel), 1517 périssent. Maury Yeston et Peter Stone dépeignent des scènes de vie inspirées du réel, depuis l’embarquement jusqu’à l’engloutissement. La 1re classe participe à de somptueux dîners en tenant à perpétuer sa caste, la 2e classe n’espère que se mêler à la 1re, la 3e classe se projette dans un American way of life idéalisé. Les rêves de couples installés (Isidor et Ida Straus) ou en devenir (Kate McGowan et Jim Farrell) fusionnent avec la force de travail de l’équipe navigante (le capitaine Smith, le commandant en second Murdoch), de la salle des machines (le soutier Barrett), de la radio (l’opérateur Bride) ou des salons (le steward Etches). L’architecte (Andrews) et le directeur de la White Star (Ismay) ne sont jamais très loin, respectivement pour vérifier le bon fonctionnement du bateau et pour demander maladivement l’augmentation de la vitesse de croisière. Ce qui doit arriver arrive : le rassemblement dans le grand hall, la fuite en canots de sauvetage, la panique généralisée. Et l’épilogue réunit les vivants et les morts pour célébrer le progrès et le dream come true… soit la conclusion la plus mièvre qu’on puisse attendre.


(c) Luc Bertau - Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz

Le compositeur tenait à une musique « britannique » pour inscrire le fait historique dans son époque artistique. Edward Elgar et Ralph Vaughan Williams se font la courte échelle dans une partition qui place par ailleurs des éléments propres à Stephen Sondheim et au « Disney symphonique ». La prosodie frappe par ses secousses rapides de consonnances, obligeant les chanteurs à une varappe vocale de haute voltige. Si l’anglais se prête peut-être plus à cette accentuation, l’adaptation française de Stéphane Laporte et Jean-Louis Grinda se heurte parfois à des déséquilibres syllabiques sur le sens de la lettre. Au-dessus des dialogues parlés s’imprime en fosse une « musique de scène » pour représenter le mouvement des ondes marines, le motif rythmique de « SOS » en morse, ou l’annonce de la tragédie. Bien que le texte ne captive pas toujours, notamment en raison de trop nombreuses scènes de discussions sur les indicateurs de navigation, l’œuvre reste attachante pour son aspect « choral », en une succession de petites histoires, récipiendaire en 1998 des Tony Awards de la meilleure musique et de la meilleure comédie musicale.

Titanic est si ancré dans l’Histoire que le metteur en scène (et directeur) Paul-Émile Fourny a préféré conserver l’époque de l’intrigue. Ses recherches l’ont amené à faire fabriquer des costumes « informés » (réussite de Dominique Louis) et à des projections vidéo des parties du bateau (conception précise de Julien Soulier) en guise de décor, lui-même uniquement présent en dur sous la forme d’une simple passerelle. Il affirme que « la comédie musicale nécessite un rythme à acquérir et à ne pas lâcher de tout le spectacle ». La première partie de la citation n’est jamais atteinte, tant le spectacle répand la mollesse embarrassante du mauvais théâtre. La mise en scène s’assimile à du rangement humain dans un espace restreint, à du placement de corps, si bien que les mouvements et expressions sont relégués au non-essentiel. Le plateau est tellement fixe qu’on se demande d’ailleurs souvent qui chante à travers le micro (dont le son est au demeurant encore parfois incontrôlable). La deuxième partie est un loupé bien en règle, l’inquiétude de la submersion étant dirigée exactement (ou paresseusement) comme la liesse amoureuse ou la conversation cordiale. On sauvera toutefois les cinq minutes où le plancher s’incline peu à peu vers le public pour symboliser les derniers instants du Titanic et de ses presque morts. C’est bien peu.


(c) Luc Bertau - Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz

Avec près de quatre-vingts personnes, on comprend la difficulté du casting, mais de là à proposer une qualité vocale aussi peu exigeante, c’est une autre histoire… Quelques rôles relèvent le niveau, parmi lesquels le Capitaine mélancolique de Philippe Ermelier et la Kate McGowan noisetée et pétillante de Lisa Lanteri. Fabrice Todaro (Barrett au subtil équilibre de fureur et de douceur à fleur de peau, dans une caresse de ligne, un flux décidé et un timbre vaillant) et Jean-Michel Richer (Andrews immensément élégant, dont la ligne s’approche d’un horizon ensoleillé, et qui manie l’émouvant et le résilient en deux faces d’une même pièce) s’avèrent quant à eux fantastiques. Le Chœur de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz se greffe honnêtement aux tutti, malgré tout réticents à trouver leur « pâte ».

Dans la fosse, grâce au poignet affûté d’Aurélien Azan Zielinski, on entend un monde merveilleux de turbines, de phares d’idées musicales, d’ondées hypnotiques, de valses énigmatiques et désespérées. Le chef est un capitaine de paysages maritimes sous hublot, que l’Orchestre national de Metz Grand Est pare de couleurs percutantes ou à pas de loups. C’est avec eux que les images induites par James Cameron se remettent à virevolter en tête en réponse à la déception scénique.

Thibault Vicq
(Metz, 21 décembre 2023)

Titanic, de Maury Yeston (musique et chansons) et Peter Stone (histoire et livret), à l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz jusqu’au 1er janvier 2024

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading