On a rarement été aussi heureux que ce soir à l’Opéra de Paris. Pourtant il n’y a aucune star à l’affiche, ni tube lyrique ni ballet du répertoire ! Et la salle du Palais Garnier est archi-comble. Sont à l’honneur la crème des jeunes talents « maison », les élèves de l’École de Danse d’une part, les chanteurs de l’Académie et quelques membres de la nouvelle Troupe lyrique de l’Opéra, d’autre part. L’idée formidable du spectacle est d’associer dans une même soirée deux œuvres majeures de Ravel, le ballet Ma mère l’Oye et la « fantaisie lyrique » L’Enfant et les sortilèges, réunies par l’esprit d’enfance, la magie des contes de Perrault et le bestiaire enchanté de Colette.

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L'Enfant et les sortilèges au Palais Garnier
© Julien Benhamou / Opéra national de Paris

La réussite est presque totale. Presque, parce qu’il a manqué dans la fosse le magicien de la baguette qui aurait pu enchanter les partitions si parfaites de Ravel. Ma mère l’Oye – qu'il s'agisse du ballet complet comme ce soir, ou de la suite d’orchestre qu’on donne généralement en concert – est un bijou d’orchestration, de magie sonore, de timbres féeriques. On a eu du mal à trouver toutes ces qualités sous la houlette routinière du chef allemand Patrick Lange, sans doute peu familier de la musique française. Le risque était moindre dans L’Enfant et les sortilèges où tous les tableaux sont réglés comme une mécanique de précision, sauf dans les passages plus oniriques où manque la dimension mystérieuse.

Mais ce qui se passe sur scène compense très largement la relative banalité de la fosse. Ma mère l’Oye est un enchantement de tous les instants. D’abord la simplicité d’un décor fait de quelques nuages blancs qui se meuvent au gré des douze tableaux du ballet, les lumières infiniment douces et chaudes qui enveloppent les danseurs, et les costumes eux aussi tout en nuances de blanc, qui se modifient imperceptiblement pour représenter successivement la Belle au bois dormant, la Belle et la Bête, le petit Poucet, Laideronnette, Curieuse et Barbe-Bleue, Le petit chaperon rouge et le loup, Les oiseaux, les Pagodes et les frères du petit Poucet.

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Ma mère l'Oye au Palais Garnier
© Julien Benhamou / Opéra national de Paris

Martin Chaix a conçu une chorégraphie très ravélienne dans la perfection formelle, d’une merveilleuse poésie dans l’expression des joies et des peurs enfantines. On s’en veut de ne pouvoir citer tous les jeunes artistes choisis par Elisabeth Platel pour danser ce soir – il y a sûrement parmi eux les futures étoiles de l’Opéra de Paris – mais le niveau de professionnalisme, les qualités de jeu individuelles autant que collectives sont déjà de très haut niveau.

Contrastant avec l’unicité de décor de la chorégraphie de Ma mère l’Oye, la mise en scène de L’Enfant et les sortilèges nous comble par la profusion, jamais gratuite, des tableaux et des costumes que dessinent Richard Jones et Antony McDonald avec les somptueuses lumières de Matthew Richardson. Quelques touches de modernité, beaucoup d’humour dans les tenues des interprètes, mais un respect absolu du texte de Colette et de la précision millimétrée de la musique de Ravel. Du très grand spectacle qui, tour à tour, éblouit, émeut, réveille des souvenirs d’enfance chez les spectateurs : la scène des « mathématiques » est extraordinaire !

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L'Enfant et les sortilèges au Palais Garnier
© Julien Benhamou / Opéra national de Paris

Quant aux interprètes, tous dans leur vingtaine, ils font honneur à cette formidable Académie qui a pris la suite de l’Atelier Lyrique de l’Opéra et par laquelle sont passés tant d’artistes qui occupent aujourd’hui les premiers rôles sur les grandes scènes lyriques. Il manque encore à certains – plus les hommes que les femmes – une qualité de projection de la voix, mais au moins on ne perd pas une miette du texte de Colette, alors que plusieurs d’entre eux ne sont pas francophones. Cela étant, la distribution change à chaque représentation de ce spectacle de féerie qu’on voudrait recommander aux petits et grands, en cette fin d’année... s’il n’était joué à guichets fermés !

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