Ravel en rêves et en révélations à Garnier
La production de L’Enfant et les Sortilège par Richard Jones et Antony McDonald a été créée en 1998. Elle était alors associée au Nain de Zemlinsky. En 2020, une nouvelle association était tentée, cette fois, avec L'Après-midi d'un faune d’après Debussy par Anne Teresa de Keersmaeker. Mais, en pleines grèves contre la réforme de retraites, seule une représentation avait pu être donnée. C’est donc un troisième couple d’œuvre qui est formé, cette fois avec le ballet Ma Mère l’Oye, confié au chorégraphe Martin Chaix. Deux œuvres courtes permettant aux nombreux enfants présents en salle d’être couchés à une heure raisonnable.
De fait, ces deux œuvres sont dédiées à l’enfance : le ballet fait référence aux contes de Perrault, de Beaumont et d'Aulnoy. La version initiale pour piano à quatre mains a d’ailleurs été créée par des interprètes de six et dix ans. Le décor de Camille Dugas fait appel à cet imaginaire, avec ces nuages dont surgissent les danseurs comme d’un dessin d’enfant, et cette neige enchanteresse qui conclut l’opus. Les costumes d’Aleksandar Noshpal tout blancs, semblent être conçus en origami, avec fantaisie. Les élèves de l’École de Danse ont pour l’occasion la grande scène de Garnier pour exposer leur talent et leur grâce, même si quelques équilibres restent instables et même si la synchronisation n’est pas encore parfaite.
La mise en scène de L’Enfant et les Sortilèges, totalement indépendante, donc, démarre dans un petit intérieur, une chambre riquiqui aux perspectives anguleuses. Puis, quand l’Enfant rejoint le pays des rêves, tout devient immense, grâce à des toiles descendant des cintres, qui permettent une grande fluidité entre les différentes scénettes qui s’enchainent.
La distribution permet de révéler de nombreux membres de la troupe et de l'Académie. L’Enfant est interprété par Marine Chagnon avec dynamisme, en grand dadais irrévérencieux, au phrasé bien plus soigné que ses devoirs. Elle reste vocalement en retrait dans les premiers instants avant de développer sa ligne de manière plus sûre. Son timbre sucré, qui gagne en corps dans l’aigu est strié d’un vibrato rond. Cornelia Oncioiu interprète sa Maman, mais aussi la Tasse chinoise et la Libellule d’une voix épaisse et brune, chaude et brillante.
Très à l’aise scéniquement, Emy Gazeilles interprète le Feu et le Rossignol d’une voix fine et étincelante aux aigus agiles et ciselés. La Princesse de Teona Todua ressort par son volume vocal, la souplesse de sa ligne et la noblesse de son timbre.
En Fauteuil, Igor Mostovoi expose une voix au beau timbre corsé et granuleux, bien émis dès le médium. Sa compagne la Bergère (et la Chauve-souris) est chantée par Boglárka Brindás, de sa voix fine et brillante.
En Pâtre (et en Chouette) Sofia Anisimova expose une voix dense et chaude. Sa Pastourelle, Sima Ouahman, dispose quant à elle d'un instrument à l’aigu rond et au vibrato rapide.
L’Horloge comtoise d’Andres Cascante ne manque pas de dynamisme mais d’ampleur, la faute à un instrument un peu fermé sauf dans l’aigu qui se libère. Son Chat séducteur est aussi théâtral que la Chatte (mais aussi L’Écureuil) d’Amandine Portelli à la voix bien émise.
Adrien Mathonat est bien distribué en arbre : il fait bien résonner sa voix dans le tronc de sa colonne d’air et dispose d’un timbre à l’écorce vigoureuse. Tobias Westman enchaine les costumes mémorables en Théière, en Rainette (avec une voix pincée) et en Petit Vieillard (drôlatique Arithmétique) d’une voix très couverte, ce qui lui confère un timbre doux mais une faible portée. Il assume toutefois le débit de calculs ratés sans perdre en qualité de diction.
L'Orchestre de l’Opéra dirigé par Patrick Lange, s’adapte bien aux deux partitions, se montrant très doux dans le premier opus, et ludique dans le second. Le chœur d’adultes de la Maîtrise Notre-Dame de Paris a peu à faire, mais il le fait avec une grande cohérence, tandis que la Maîtrise des Hauts-de-Seine est bien ensemble tant vocalement que dans leur chorégraphie, mais en décalage avec l’orchestre.
Par deux fois, à la fin de chaque partie, le public de la salle pleine à craquer (qui aura participé au spectacle par un incessant concert de toux), montre son assentiment.