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​Turandot à l’Opéra Bastille – Si Turandot m’était contée – Compte-rendu

Assister à un spectacle mis en scène par Bob Wilson présente quelque chose de rassurant. Nous connaissons sa maîtrise, son goût immodéré, voire fanatique, pour les images épurées subtilement éclairées, les costumes aux coupes parfaites et aux étoffes raffinées, le hiératisme de ses gestes millimétrés, autant d’éléments qui constituent ce rituel auxquels s’ajoutent ces décors stylisés, ces délicates ombres chinoises et l’absence de toute psychologie cultivée par un esthète qui ne s’est jamais écarté du chemin qu’il a lui-même tracé depuis plus de cinquante ans.
 

 © Agathe Poupeney - Opéra national de Paris

Après une Butterfly et un Pelléas qui ont fait les belles heures de l’Opéra de Paris (pourquoi la magnifique Frau ohne Schatten n’a-t-elle jamais été reprise depuis 2002 ?), cette Turandot créée à Madrid en 2018 et déjà montrée en 2021, répond aux critères établis par la grammaire wilsonienne. Unité des couleurs avant l’implosion du rouge flamboyant qui vient symboliser l’amour ressenti par l’héroïne, lumières alla Rothko projetées sur l’habituel cyclorama, réitération des déplacements de foules comme suspendues, expressionnisme appuyé des personnages, lenteur, Bob Wilson, n’explique rien, préférant dépeindre, suggérer, ne s’intéressant qu’à la beauté dont l’ordonnancement parfait vient sublimer la musique. Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, cette production à la splendeur immaculée séduira les fidèles sans parvenir à convaincre les détracteurs, sans qu’il soit possible de réfuter l’existence d’un indéniable style, aussi reconnaissable et permanent soit-il.
 

Ching-Lien Wu, l'admirable cheffe des Choeurs de l'Opéra de Paris © Sébastien Galtier - Dutch National Opera
 
Malgré la défection de celle que l’on attendait avec impatience à Paris après la réussite de son intégrale discographique (Erato), Sondra Radvanovsky a préféré se reposer après sa prise rôle londonienne (Leonora de La Forza del destino), cette première a été un succès. Pièce de choix pour les chœurs extrêmement sollicités, ceux de l’Opéra National ont une nouvelle fois preuve d’une compétence et d’une préparation exemplaire sous la houlette de Ching-Lien Wu, usant de toutes les nuances d’une riche palette expressive, seconds rôles parfaitement distribués du sautillant trio des masques incarné par Florent Mbia (Ping), Maciej Kwasnikowski (Pang) et Nicholas Jones (Pong), au sombre Timur de Mika Kares, en passant par l’impérial Altoum de Carlo Bosi, suspendu dans les airs.
 
La Liù de Ermonela Jaho est un luxe, la soprano prenant un plaisir palpable à interpréter ce personnage dont elle conserve malgré les années tous les codes (quels magnifiques filati ...), le Calaf de Brian Jagde manque de charisme mais pas de coffre, son ténor renouant avec un passé que l’on croyait perdu, celui des stentors.
 

Marco Armiliato, une direction accordée au hiératisme de la production wilsonienne © Ifkovitz
 
Dans le rôle-titre enfin, Tamara Wilson impressionne par la profusion de ses moyens, le tranchant de ses aigus certes, mais également la souplesse de ses accents et la gamme de colorations apportée à son chant. Implacable – quelle diction – elle se moque de celui qui la défie, s’imaginant intouchable avant de se rendre à l’évidence et de venir à l’amour, même si celui-ci la déstabilise, tout en l’attirant irrésistiblement. Il sera passionnant de suivre la cantatrice plusieurs fois invitée dans la capitale cette saison (Adriana Lecouvreur et Brünnhilde de la Walkyrie au TCE) et que l’on retrouvera sur ce même plateau en février prochain dans un registre radicalement opposé avec la Beatrice di Tenda de Bellini.
 
La direction de Marco Armiliato, aux tempi plus lents que de coutume, apporte à cette succession de tableaux hiératiques une densité admirable qui accentue l’atmosphère poétique et irréelle de ce conte oriental, à la musique résolument moderne.

François Lesueur

 

Puccini : Turandot – Paris, Opéra Bastille, 6 novembre ; prochaines représentations les 8, 9, 11, 13, 15, 17, 22, 24, 26, 28 & 29 novembre 2023 (avec Irene Theorin, Anna Pirozzi et Gregroy Kunde en alternance. Michele Spotti succédera en fosse à Marco Armiliato du 22 au 29 nov.) // www.operadeparis.fr/saison-23-24/opera/turandot
 
Photo © Agathe Poupeney - Opéra national de Paris

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