Voilà qui devrait ravir les amateurs de costumes et décors authentiques : c’est dans le Paris de la Belle Époque, ville lumière marquée par l’Exposition universelle de 1900, que Mariame Clément fait évoluer Cendrillon, le « Conte de fées » de Jules Massenet créé en 1899. Les évocations sont si nombreuses que ce n’est pas une vague allusion mais une véritable immersion dans cette époque en mutation, où l’esthétique fin de siècle est peu à peu écartée au profit des rêves et des espoirs suscités par l’industrie ; c’est ce versant enchanté, celui de tous les possibles, que propose ce soir la metteuse en scène, soucieuse de garantir au public de l’Opéra de Paris un peu d’émerveillement dans l’enceinte grise de Bastille.

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Cendrillon à l'Opéra Bastille
© Elisa Haberer / Opéra national de Paris

Les trois décors, imaginés par Julia Hansen, se font le relais de cet enchantement : alors qu’une splendide verrière à la Eiffel figure le palais du Prince charmant dans le deuxième acte, c’est une imposante et fabuleuse machine à vapeur – influencée par l’esthétique steampunk, en témoignent les lunettes de soudeur portées par Madame de la Haltière – qui représente l’usine dans laquelle œuvrent Cendrillon et sa famille. Ce dernier décor se soulèvera de quelques mètres et de façon monumentale pour faire voir le sous-sol de l’usine, royaume enchanté de la Fée qui réunira les amoureux au troisième acte.

Ces décors rétrofuturistes, tout droit tirés de l’univers de Jules Verne et somptueusement réalisés par les ateliers de l’Opéra, sont en outre accompagnés de costumes tout aussi somptueux – eux aussi plus romanesques que réalistes, tenant plutôt de Dickens que de Zola. Cette vision très séduisante de Cendrillon se retrouve également dans le traitement de certains personnages habituellement caricaturaux : à ce titre, la marâtre est dépeinte comme une femme certes grossière mais plus impressionnante que véritablement malveillante, tandis que les deux sœurs apparaissent attentionnées et touchées par le sort de Cendrillon.

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Cendrillon à l'Opéra Bastille
© Elisa Haberer / Opéra national de Paris

À l’exception de quelques clins d’œil téléphonés qui font doucement sourire (la marraine surmontée d’un diadème d’ampoules, en référence à la Fée électricité...), la proposition de Mariame Clément s’arrête à peu près là. Si elle plaira au public (enfants compris) en quête d’émerveillement par son aspect littéral et consensuel, elle laisse sur sa faim quant aux surprises et aux émotions, plombée par une direction d'acteur médiocre (les chorégraphies raides et inexpressives du deuxième acte, l’espace scénique maladroitement comblé en général) et des choix hasardeux : outre la laideur des vidéos projetées entre les tableaux, on se demande ce que viennent faire, au milieu des costumes d’époque, les fausses Converse rouges du Prince charmant – accoutré comme un adolescent – ainsi que cet énorme cœur sanglant et palpitant, dont le réalisme anatomique contraste de façon déconcertante et inutile avec le caractère surnaturel du troisième acte.

Malheureusement, la distribution de cette Cendrillon ne se montre pas beaucoup plus en réussite. Dans le rôle-titre, Jeanine De Bique enchante par son timbre riche et cuivré, alliant aussi bien la légèreté dans les aigus que la puissance dans ses airs les plus lyriques ; toutefois, sa diction est si incertaine que le livret d’Henri Cain, qui ne souffre pas l’approximation, en devient franchement incompréhensible. Tandis que Paula Murrihy, en déficit de justesse dans le rôle du Prince, passe la soirée à développer un vibrato excessif dans l’espoir de corriger (en vain) ses imprécisions, Caroline Wettergreen manque de souffle et de clarté pour donner aux aigus cristallins de la Fée leur plein de mystère et d’évanescence. Si la Haltière de Daniela Barcellona – à l’aise dans l’incarnation de ce personnage haut en couleur – est plus convaincante, seuls Laurent Naouri (Pandolfe) et le duo de sœurs formé par Emy Gazeilles et Marine Chagnon, parviennent à donner pleinement satisfaction.

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Cendrillon à l'Opéra Bastille
© Elisa Haberer / Opéra national de Paris

Mais ce soir, c’est la fosse qui vient au secours du plateau et l’on est impressionné par l’entrain de l’Orchestre de l’Opéra qui s'empare avec sérieux de la partition de Jules Massenet. Dirigés avec précision par Keri-Lynn Wilson, les musiciens développent un matériau riche et opulent – sans pour autant tomber ni dans la lourdeur, ni dans l’enchaînement d’épisodes décousus – dont on se plaît à admirer tant les beautés sonores que l’énergie avec laquelle ils auront habillé les multiples interludes musicaux, rattrapant les déboires de la scène.

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