Idoménée à l’opéra de Nancy : un opéra plus à entendre qu’à voir

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Mozart composa Idoménée, roi de Crète (Idomeneo, re di Creta ) à vingt-cinq ans. Deux opéras sérieux, Mithridate roi de Pont (Mitridate, re di Ponto), d’après Racine et Lucio Silla sur un livret retravaillé par Métastase le précédent. Sans oublier, dans les genres plus légers La Fausse ingénue (La finta semplice), La Jardinière futée (La finta giardiniera) et le Roi Pasteur (Il re pastore), excusez du peu. L’opéra n’a donc déjà plus de secret pour lui. La maturité de l’orchestre et les arias impressionnent chez ce compositeur de moins de trente ans qui, contrairement au librettiste, évite les lourdeurs héritées des habitudes anciennes en respectant les contraintes de son époque. Idoménée en ce sens est une sortie du monde haendélien, avant d’entrée dans le nouveau monde grâce à l’Enlèvement au Sérail (Die Entführung aus dem Serail) l’année suivante. L’opéra de Nancy relève donc le défi de cette œuvre entre deux époques avec le metteur en scène Lorenzo Ponte.

Lorenzo Ponte choisit de jeunes chanteurs, y compris pour les ainés comme Idoménée et Arbace. Mais le pari essentiel de sa mise en scène est d’exhumer de l’oubli Meda, la première épouse d’Idoménée, afin de montrer que ce temps est encore dominé par la sacrifice des enfants par leurs parents, alors que le suivant, inauguré par le mariage d’Idamante et Ilia, sera basé sur la vie. Effectivement, l’univers des ainés est sous le signe de la destruction, comme l’indique le retour de guerre d’Idoménée et la Crète attaquée par un monste marin au troisième acte, et le suivant est dominé par celui de l’amour avec le mariage des amoureux en camps ennemis Ilia et Idamante.
Cepenfant jamais Meda n’est mentionnée dans le libretto. Pourquoi l’avoir exhumée ?

Sur le plateau, elle est au mieux inutile, comme lorsqu’elle sort d’une baignoire durant l’air final d’Electre ; au pire elle parasite la compréhension du drame comme lorsqu’Idoménée entre en scène. 

Autre grave défaut, l’infantilisation des jeunes personnages principaux. Au début de l’opéra, ils sont mafieux en deuil. Dès l’apparition d’Idoménée, ils deviennent gamins joueurs, ce qui les ridiculise.

Les incohérences de la mise en scène ne s’arrêtent pas là hélas. Leur liste serait aussi pénible à la lecture qu’au spectacle. Il suffit de mentionner en sus et au hasard une Electre hésitant entre être la bouche de Meda et ses soucis personnels, un prêtre de Neptune en soutane et étole à croix devant un Idoménée se signant de la croix, ou l’inscription Noel 1962 dans le coin gauche du décor du deuxième acte. Pourquoi Noel dans un temps d’avant le Christ ? Pourquoi cette année plutôt qu’une autre ? Mystère. 

Si les éclairages d’Emanuele Agliati dont une grande et malheureusement superfétatoire tète de Meda à la fin de l’opéra, et la scénographie d’Alice Benazzi, dont un trop obscur premier acte en noir et rouge, confèrent son atmosphère à chaque scène, la mise en scène de Lorenzo Ponte tord l’opéra pour le conformer à son idée, ce contre quoi l’oeuvre se rebelle, engendrant un spectacle incohérant sur scène.

Heureusement, il y a la musique. 

Si Toby Spence en Idoménée force sa voix quand il suit les arabesques de Mozart, l’Ila de Siobhan Stagg a la droiture et la clarté de métal brillant, le velours noble d’Héloïse Mas. En Idamante et la grave rivière d’Amanda Woodbury en Electre se font entendre dès le premier acte et gagnent en qualité, y compris dans les notes les plus aigües, jusqu’à la fin de l’opéra. Ces cantatrices chantent en duo ou en solo avec le naturel nuancé dans lequel Mozart développera ses voix dans ses œuvres futurs jusqu’à la Reine de de la nuit. Et le chœur tenu par Guillaume Fauchère et l’orchestre tenu par Jakob Lehmann à la frontière de la rigueur ajoutent au plaisir. Plus de souplesse et de jeux auraient néanmoins fait mieux entendre la direction dans laquelle Mozart orientera ses oeuvrs lyriques ultérieures.

Une exécution fort agréable en somme, dans une mise en scène fort gênante.

Rey Andreas

Nancy, Opéra, 1er octobre 2023

Crédits photographiques : © Simon Gosselin

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