Samedi 23 septembre, au parterre de l’Opéra Bastille : « – Regarde, dit un spectateur à sa voisine en pointant du doigt le programme de salle, encore un hôpital psychiatrique… – Encore… ? répond-elle avec lassitude. » Oui, encore, mais cette fois-ci avec d’autant moins de surprise que Daniil Orlov, dramaturge associé à la production, l’annonce noir sur blanc dans le synopsis officiel de l’Opéra de Paris – qu’il a lui-même écrit et adapté pour correspondre à la mise en scène de Kirill Serebrennikov. Coquetterie superflue ou nécessité pour rendre intelligibles des partis pris qui le sont peu ?

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Lohengrin à l'Opéra Bastille
© Charles Duprat / Opéra national de Paris

Cet avant-goût littéraire se révèlera finalement indispensable à la compréhension de ce Lohengrin qui, en se plaçant dans le feu de la guerre (que l’on imagine en Ukraine), rend Elsa sujette à de violents troubles psychiatriques après la perte de son frère au front. Ortrud et Telramund deviennent les psychiatres chargés de soigner ses traumatismes, et Lohengrin un simple délire – en treillis militaire et rangers noires – fantasmé par la jeune femme pour la protéger de ses chimères.

Alors que le premier acte (intitulé par Orlov « Le Délire ») plonge le spectateur dans les hallucinations d’Elsa, qui se représente le procès imaginaire dont elle sort vainqueur par le soutien de Lohengrin, le deuxième acte est celui du retour à la réalité puisqu’il met en scène une clinique psychiatrique dans laquelle Elsa est prise en charge, avant de se concentrer sur le front – où figurent un mess, un hôpital de campagne et une morgue. L’acte III (« La Guerre ») entremêle quant à lui l’illusion au réel en encadrant les fantasmes d’Elsa par une épouvantable réalité.

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Lohengrin à l'Opéra Bastille
© Charles Duprat / Opéra national de Paris

Pour mener à bien ce projet, Serebrennikov peut compter sur son sens de l’esthétique – dans ses projections en noir et blanc ou dans la personnification du cygne – et sur son ingéniosité scénique qui apparaît particulièrement vive dans la gestion des apartés et dans les détournements astucieux du livret. Toutefois, ces qualités s’accompagnent d’un certain nombre de lourdeurs par l’emploi systématique de gadgets ainsi que par la surcharge – et la redondance – des informations proposées dans un espace divisé en six voire huit tableaux.

Par ailleurs, le parti pris radical de cette mise en scène induit son lot d’incohérences dont il est difficile de faire abstraction, à l’instar du finale dans lequel les protagonistes interagissent, en dépit de toute logique, avec un Lohengrin censé n’exister que dans la psyché d’Elsa. Mal ficelée, cette mise en scène se livre malheureusement trop souvent aux poncifs du Regietheater ou à une inutile complexité, dispersant l’attention et détournant sans cesse l’auditeur du drame wagnérien.

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Lohengrin à l'Opéra Bastille
© Charles Duprat / Opéra national de Paris

Peu servi par la scène, celui-ci est en revanche bien présent dans la fosse où l’Orchestre de l’Opéra de Paris se montre sous son meilleur jour et particulièrement à l’écoute de son chef. Dirigeant avec fougue et dynamisme les musiciens, les chanteurs et les chœurs, déployant une énergie constante pendant plus de trois heures, Alexander Soddy parvient à convoquer tour à tour la délicatesse virginale du Graal, l’urgence dramatique du premier acte ou encore la sensualité électrique et brûlante du duo d’amour.

L’incarnation vocale est quant à elle assurée par une distribution très convaincante, à une exception près, d’autant plus regrettable qu’il s’agit de Johanni van Oostrum dans le rôle d’Elsa. Probablement en mauvaise forme ce soir, la soprano fait entendre un timbre voilé et une fébrilité dans les aigus que sa performance scénique ne viendra malheureusement pas rattraper. Pour lui donner la réplique, on peut toutefois compter sur un Piotr Beczała impérial dans le rôle du chevalier au cygne : son Lohengrin, bien que malmené par des exigences scéniques excessivement viriles, résiste au pathos pour développer une pureté vocale véritablement divine dans son « récit du Graal ».

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Lohengrin à l'Opéra Bastille
© Charles Duprat / Opéra national de Paris

Wolfgang Koch se livre tout entier au rôle tourmenté de Telramund, qu’il magnifie par son incarnation très expressive, presque wozzeckienne. Remportant tous les suffrages, Nina Stemme s’empare quant à elle du rôle d’Ortrud avec une aisance confondante et, par son dramatisme teinté d’une hystérie parfaitement contrôlée, laisse le public avec les frissons procurés par ses dernières incantations. Autre source de frissons, les Chœurs de l’Opéra de Paris qui, malgré la complexité de l’écriture, se montrent véritablement moteurs du drame, tant par leur puissance vocale que par la subtilité de leur expression.

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