Don Carlos mis en scène par Lydia Steier © Magali Dougados

Don Carlos à Genève : retour aux sources

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Le Grand-Théâtre de Genève ouvre sa saison avec une nouvelle production de Don Carlos. Dans la mise en scène efficace de Lydia Steier, Marc Minkowski défend le génie dramatique de la version de la création en français à Paris lors de l’Exposition universelle de 1867, avec un plateau vocal investi.

Quand il s’agit de mettre Don Carlos à l’affiche, se pose toujours la question de la version à retenir. Si la mouture italienne en quatre actes a longtemps prévalu dans les salles, l’original en cinq actes français s’impose à nouveau progressivement. L’acte de Fontainebleau, où l’amour de Carlos et Elisabeth est sacrifié sur l’autel de la raison d’état, présente quelques-uns des leitmotivs qui éclairent toute la cohérence du drame que les quatre actes italiens condensent davantage en une succession de grands tableaux. Pour la présente production, Marc Minkowski reprend la partition de la création à l’Opéra de Paris en 1867 – après les coupures que le compositeur a opérées pendant les répétitions pour se conformer aux contraintes de durée, sacrifiant donc la déploration de Philippe II sur le corps de Posa que Verdi réutilisera dans le Lacrymosa de son Requiem – avec quelques discrètes retouches, substituant au duo initial entre Philippe II et Posa à la fin du deuxième acte une réécriture ultérieure de la scène, et aménageant un peu le ballet, en partie pour combler un long changement de plateau avant le monologue du roi au quatrième acte – ce qui, sur fond de la cellule de Carlos, permet de goûter l’un des rares solos pour violon de la main de Verdi.

Don Carlos mis en scène par Lydia Steier © Magali Dougados

Mis à part ces menues libertés, le spectacle conçu par Lydia Steier ne bouscule pas l’oeuvre. Il s’appuie avant tout sur la très habile scénographie rotative dessinées par Momme Hinrichs, où le monumental se mêle à l’intime, tandis que, sur les côtés, des figurants évoquent les oreilles de quelque régime totalitaire que l’architecture imposante et les costumes dessinés par Ursula Kudrna peuvent apparenter à l’époque stalinienne. Tamisées par les lumières de Felice Ross, les vidéos habillent certaines séquences, à l’exemple de branchages dénudés par la froidure hivernale dans la plainte populaire au début de l’opéra. La direction d’acteurs affirme une relative raideur qui dépasse sans doute la crédibilité de la dictature, mais préserve la lisibilité du drame et des incarnations.

Dmity Ulyanov (Philippe II) dans Don Carlos mis en scène par Lydia Steier © Magali Dougados

Dans le rôle-titre, Charles Castronovo se distingue par une fougue lyrique et un investissement communicatif, qui compensent une tessiture parfois aux limites d’un rôle qu’il aborde pour la première fois. Rachel Willis Sørensen se révèle une Elisabeth d’une indéniable noblesse, quoiqu’un peu monochrome. L’homogénéité du mezzo d’Eve-Maud Hubeaux rayonne mieux dans la figure d’Eboli, qu’elle cisèle avec une justesse remarquable. Stéphane Degout possède évidemment la carrure de Posa, portée par la densité d’un grain vocal riche de couleurs expressives, par-delà quelques rudesses d’accent au fond anecdotiques. Dmitry Ulyanov convainc en Philippe II par une voix de basse solide, dont les couleurs nourries enveloppent souvent la parole chantée. Egalement en prise de rôle, Liang Li impose l’autorité du Grand Inquisiteur. Les apparitions secondaires, toutes novices dans leur personnage à l’exception du Comte de Lerme par Julien Henric, ne sont pas négligées. Thibault, le moine et la voix céleste reviennent à trois membres du Jeune Ensemble du Grand-Théâtre – respectivement Ena Pongrac, William Meinert et Giulia Bolcato.

A l’instar du sextuor des députés flamands, les choeurs sont préparés avec la précision habituelle par Alan Woodbridge. Quant à la direction de Marc Minkowski, à la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, elle contient les épanchements dans le cadre du grand opéra que Verdi a porté à ses limites. Le génie du compositeur est resitué dans un genre et l’Histoire, le mot clef de la modernité atemporelle de ce Don Carlos.

Gilles Charlassier

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