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Lucie de Lammermoor (en français) au Festival d’Aix-en-Provence – Somptueux final – Compte rendu

 

C’est après une très longue ovation debout que le rideau s’est baissé sur le 75e Festival d’Aix, le 24 juillet au Grand Théâtre de Provence. Ovation mâtinée d’émotion après une version de concert de Lucie de Lammermoor, l’ouvrage de Donizetti livré ici dans sa version française de 1839, avec Lisa Oropesa dans le rôle-titre.
De l’avis même de quelques sopranos qui ont brillé dans cet emploi, Natalie Dessay et Patrizia Ciofi entre autres, devenir Lucia ou Lucie n’est jamais innocent vocalement et psychologiquement avec une prestation au troisième acte à mi-chemin entre le somnambulisme et la folie. Et lorsque l’opéra est mis en scène, le « retour sur terre » est parfois difficile pour les interprètes ... Il n’y avait pas de mise en scène, Grand Théâtre de Provence, mais des jeux de lumières, des entrées et sorties à cour et à jardin, comme l’ébauche d’une mise en espace renforcée par la volonté des solistes de donner du sens et de l’émotion à leurs personnages. Force est de reconnaître qu’ils y sont parvenus !
 

Lisette Oropesa © Vincent Beaume

Finesse, fragilité, sensibilité : trois adjectifs qui s’imposent pour qualifier la Lucie de Lisette Oropesa. La soprano cubano-américaine, qui abordait le rôle en français pour la première fois de sa carrière, a plus que séduit son auditoire avec une ligne de chant tendue et puissante, armée d’un vibrato idéal et d’un art de la colorature totalement maîtrisé qui lui permet la juste expression des sentiments d’une femme subissant un destin cruel par la faute d’un frère avide de vengeance et de pouvoir.
C’est Florian Sempey qui était condamné au rôle de l’odieux Henri Ashton. Challenge relevé sans aucun problème avec une gestuelle travaillée et un investissement vocal permanent conférant à son personnage sa dimension colérique, sombre et violente. Un baryton précis et puissant sur toute la longueur de la tessiture dont la qualité de projection et la présence ont donné parfois du fil à retordre au ténor Sahy Ratia dans le rôle de Gilbert, notamment au premier acte.
 

John Osborn © Vincent Beaume

Le « prodige » Pene Pati était attendu pour incarner Edgard Ravenswood, mais à l’instar de Jonas Kaufmann pour Otello, il avait déclaré forfait pour raisons de santé. John Osborn le suppléait, après avoir été Jean de Leyde dans Le Prophète de Meyerbeer in loco il y a quelques jours. Timbre élégant et sensuel, diction remarquable, le ténor américain s’est imposé de façon lumineuse au côté de Lisa Oropesa. En Raymond, Nicolas Courjal chantait un peu à domicile à Aix-en-Provence, habitué qu’il est de la scène marseillaise depuis quelques années. On le connaît et on l’entend souvent dans les rôles noirs du répertoire où la profondeur de ses graves et la souplesse de sa voix font merveille ; ici il a offert un personnage empli d’humanité auquel il a su donner une réelle consistance. Les ténors Yu Shao et Sahy Ratia complétant la distribution.
 

Daniele Rustioni © Vincent Beaume

Si à l’heure des bravi Lisette Oropesa était submergée, il en fut de même pour Daniele Rustioni, directeur musical passionné, bondissant et spectaculaire offrant à son Orchestre de l’Opéra de Lyon et aux chœurs de la même maison (préparés par Benedict Kearns), l’occasion de briller dans l’excellence. Un point final somptueux pour un Festival anniversaire dont le bilan fait état d’une fréquentation totale record de 75 000 spectateurs (+ 5% par rapport à 2022) avec un taux de remplissage de plus de 90%.
 
Michel Egéa

 Donizetti : Lucie de Lammermoor (version française), Festival d’Aix, Grand Théâtre de Provence, 24 juillet 2023
 
Photo © Vincent Beaume

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