C’était sans doute le nom le plus prestigieux à l’affiche des distributions vocales de cette 75e édition du Festival d’Aix-en-Provence : le ténor vedette Jonas Kaufmann a dû renoncer, pour raisons de santé, à sa participation à Otello, opéra donné en une unique représentation de concert. Le public se console cependant très vite, tant son remplaçant Arsen Soghomonyan fait sensation dans le rôle-titre. Dès son « Esultate » d’entrée, les aigus sont lancés avec force, une vigueur qui ne se démentira pas jusqu’à son « Niun mi tema » final. Mais le ténor arménien est aussi un ancien baryton, qui a d’ailleurs évolué vers cette tessiture plus aiguë il y a seulement six ans. À ce titre, le timbre est particulièrement sombre dans le médium et lui permet d’atteindre les notes les plus graves en pleine voix, comme rarement entendues.

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Arsen Soghomonyan en Otello au Festival d'Aix
© Vincent Beaume

Sa Desdemona est la soprano Maria Agresta, d’une belle luminosité dans la partie supérieure du registre, qui fait oublier le charme moindre opéré par certaines notes dans le bas médium. Dès son duo avec Otello en fin de premier acte, les aigus filés séduisent, l’interprète s’épanouissant encore davantage au dernier acte. Son air du Saule est alors un moment délicieux, plein de douceur et d’émotion, tout comme son « Ave Maria » qui suit, chanté à fleur de lèvres.

Troisième protagoniste, le Iago de Ludovic Tézier remporte les suffrages, dans une prestation de bout en bout époustouflante. Chantant tout comme ses partenaires sans partition, le baryton français incarne corps, voix et âme ce personnage maléfique. Le timbre est d’une richesse absolue et varie à merveille les nuances et couleurs, entre petites phrases distillées avec un air bonhomme, les mains dans les poches, ses insinuations perfides qui manipulent l’âme d’Otello ou encore le torrent de décibels émis par un instrument surpuissant. Son « Credo » de l’acte II forme, dans ces conditions, un moment d’anthologie, évoluant entre murmure maléfique et rugissement. Sa conclusion de l’acte III, par un bref éclat de rire sur la première syllabe de « Ecco il leone ! », constitue également un inédit à nos oreilles et on comprend plus que jamais la volonté première du compositeur de nommer Iago son opéra.

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Ludovic Tézier en Iago au Festival d'Aix
© Vincent Beaume

Les rôles secondaires sont défendus avec qualité, depuis le Cassio du ténor clair et élégant de Giovanni Sala, jusqu’à l’Emilia bien plus sonore de la mezzo Enkelejda Shkoza, en passant par l’autre ténor Carlo Bosi ou la basse au ton sépulcral Alessio Cacciamani.

Dès la tempête des premiers accords, ponctuée par quelques clignotements des lumières sur le plateau, le Chœur et l'Orchestre du Teatro di San Carlo de Naples impressionnent par leur impact sonore et le sens du théâtre qu’ils parviennent à construire même sans mise en scène. Actuellement directeur musical de l'Opéra de Rome, le chef Michele Mariotti maintient en effet une tension dramatique de tous les instants et met bien en évidence les contrastes entre les grands tableaux collectifs et les scènes plus intimistes entre les protagonistes. On remarque bien de petits décalages à l’intérieur de la formation, surtout à l’acte II, ainsi qu’un temps faible aux contrebasses après les applaudissements de l'« Ave Maria » du IV, mais cette phalange reste globalement somptueuse… et quelles splendeurs de la part des cordes ! Les choristes placés en fond de scène et préparés par José Luis Basso font aussi forte impression, avec des sopranos d’une grande générosité dans l’aigu.

L’image finale restera certainement gravée dans les mémoires, celle de Desdemona déjà assassinée, qui revient donner un baiser à Otello en train d’expirer sur ses derniers mots « … un'altro bacio ».

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