Chroniques

par hervé könig

Mitridate, re di Ponto | Mithridate, roi de Pont
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart

Garsington Opera
- 2 juillet 2023
Tim Albery signe le nouveau MITRIDATE (Mozart) du festival Garsington Opera
© julian guidera

Quel plaisir d’entrer aujourd’hui dans la saison musicale d’été sans les restrictions vécues internationalement depuis trois ans ! Rarement donné, Mitridate, re di Ponto, œuvre de belle facture d’un petit génie autrichien de quatorze ans, surprit beaucoup le public milanais lors du carnaval de 1770. Le lyricophile britannique garde un grand souvenir de la production du regretté Graham Vick (1953-2021), à Covent Garden [lire notre chronique du 29 juin 2017]. Commandée à Tim Albery pour l’édition 2020 du festival Garsington Opera, cette nouvelle mise en scène n’a pu voir le jour qu’en juin 2023, et nous la découvrons à son crépuscule. En insistant surtout sur la folie du rôle-titre et les relations troubles entre les autres personnages, dont un Farnace jouisseur jusqu’au comique, la direction d’acteurs s’épanche au delà de l’intrigue et même de la musique. Une logique indéniable la construit, mais tout de même, le spectateur s’y perd, se lasse vite ; s’il reste sagement à sa place, c’est parce que la musique est belle… et que cette place est chère ! Éclairé par Malcolm Rippeth, le décor d’Hannah Clark présente le désavantage très bizarre de conjuguer l’encombrement et la sobriété. Sur un plateau nu sont placés des éléments épars, comme un globe terrestre, un canapé, un tableau d’armes, un buste, etc., enfin un zèbre naturalisé. Le mur se déplace au fil de la représentation, enfermant peu à peu les personnages dans un espace réduit, selon une dynamique claustrophobe qui n’est pas sans intérêt. Clark signe également les costumes : un carcan néovictorien de veuve pour Aspasia, un uniforme de chef de guerre des empires centraux pour Mitridate, une robe kitsch rose-truie pour Ismene, parfois couverte d’une fourrure, une robe de chambre tapageuse pour Farnace et ainsi de suite.

Parlons donc musique !
The English Concert tient fermement le spectacle. Fondée il y a un demi-siècle par le claveciniste Trevor Pinnock, la formation londonienne est ici confiée à Clemens Schuldt, réputé pour ses interprétations du répertoire classique germain – il défend aussi la création. Chef résident du Staatstheater de Mayence où nous l’entendions diriger l’Armide de Gluck [lire notre chronique du 5 février 2017], puis chef principal du Münchener Kammerorchester [lire nos chroniques du 2 décembre 2017 et du CD Clara Iannotta], Schuldt prendra en septembre ses nouvelles fonctions à la tête de l’Orchestre Symphonique de Québec, dont il sera le directeur musical pendant quatre ans. Attentif aux chanteurs comme à l’inflexion spécifique du jeune Mozart, il tire habilement parti du grand talent des musiciens, avec une vivacité générale de haut vol et, surtout, des solos remarquables.

Au plateau vocal, on doit bien des agréments, notamment grâce au vaillant Robert Murray. L’écriture du rôle de Mitridate est très exigeante et nécessite que le chanteur jongle adroitement avec intervalles et tessiture. La dextérité du ténor britannique se joue de la difficulté, et son timbre richement texturé rend parfaitement compte de la nature paranoïaque du personnage [lire nos chroniques de The Rape of Lucretia, The pirates of Penzance, Tisbe et Lucio Papirio dittatore].

D’un chant des plus nobles, mais encore digne et racé, Elizabeth Watts livre une Aspasia émouvante, grâce à une maîtrise impressionnante de l’impact et à une belle conduite de la nuance [lire nos chroniques de Deuxième de Mahler, Radamisto, Don Giovanni, A sea symphony et de la Quatrième de Mahler]. À la découverte du soprano d’origine hongroise Louise Kemény, on est immédiatement charmé : son Sifare pur et frais bénéficie d’élégance et de passion. L’excellent Iestyn Davies prête son contre-ténor à Farnace, partie où il navigue avec une grande expressivité, parfois presque händélienne [lire nos chroniques de Solomon, Belshazzar, The tempest et d’Agrippina, de son CD Fauré ainsi que de son récital au Festival de Saint-Denis]. Voix cristalline, coloratura presque folle, le soprano Soraya Mafi est une Ismene brillante [lire nos chroniques de Falstaff, La divisione del mondo et Hänsel und Gretel]. Égal à lui-même, John Graham-Hall honore avec grand style l’unique aria d’Arbace – un rôle où il est luxueusement distribué. Doté lui aussi d’une seule aria, Marzio se montre néanmoins à son avantage grâce au timbre chaleureux et au chant gracieux du jeune Joshua Owen Mills [lire nos chroniques de La favorite et de Die Vorübergehenden].

Bien que la production ne soit pas du plus grand Garsington [lire nos chroniques de Pelléas et Mélisande, Die Zauberflöte, La fiancée vendue et The turn of the screw], ces retrouvailles sont à fêter !

HK