Coïncidence ou pas, c’est quand la pluie a commencé à tomber sur le Théâtre de l’Archevêché d’Aix-en-Provence, à la fin du « Per pietà » de Fiordiligi, que l’attention s’est définitivement émoussée…

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Così fan tutte au Festival d'Aix-en-Provence
© Monika Rittershaus

Il y avait pourtant de magnifiques promesses dans ce Così fan tutte de Mozart mis en scène par Dmitri Tcherniakov. Cette idée tout d’abord : comment réinventer l’amour après des années de vie commune ? Une question vitalisée par la promesse d’un quatuor de chanteurs plus âgés que les personnages habituellement proposés dans le livret. Deux couples, la cinquantaine, dans la routine de leur vie, viennent passer un week-end dans la maison d’un troisième couple formé par Don Alfonso et Despina. Tcherniakov abandonne le premier degré du livret fait de travestissements, de fausses morts, de contrats de notaires, de femmes qui ne reconnaissent par leurs maris travestis et que l’on achète avec de l’or. Autant d’éléments théâtraux qui n’ont plus aujourd’hui la vraisemblance de l’époque de la création.

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Così fan tutte au Festival d'Aix-en-Provence
© Monika Rittershaus

Ici personne n’est dupe, tout le monde est témoin de tout et l’on voit de vieux amants réapprendre l’amour en jouant à jouer : au soldat malade, au docteur et au travestissement. De jeu de situation en défi amoureux, lors d’un repas donné par les hôtes de céans, ils se créent des micro fictions, d’intenses situations faites de tendresse et de mise à l’épreuve, tentant de se surprendre, de s’aimer encore. Le livret se prête à merveille à ce glissement de sens, creusant sans cesse le champ lexical du théâtre, de l’improvisation et de l’ironie sur soi. À la fois désabusés et secrètement habités, puis bouleversés par l’idée d’une renaissance amoureuse, ils retournent à l’école des vieux amants.

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Così fan tutte au Festival d'Aix-en-Provence
© Monika Rittershaus

Les chanteurs, familiers de ces rôles, retrouvaient ici des partitions que la plupart avaient laissées de côté depuis des années, évolution vocale oblige… et cela se sent ! Les lignes de chant sont imprécises, les souffles courts et les timbres n’ont plus la clarté d’antan. Mais Tcherniakov travaille sur le rôle avec eux de mémoire et le résultat dans la première partie de l’œuvre est par moments saisissant, en demi-teinte entre souvenir et soif de vivre, amertume et douceur, élans sentimentaux et autodérision. Rainer Trost (Ferrando) en est touchant dans sa déclaration presque pathétique à sa Dorabella (Claudia Mahnke) dans son « Un’aura amorosa ». Rarement le terzetto « Soave sia il vento » – joué très allant et avec une grande légèreté – n’aura sonné aussi juste, où le départ des maris est un faux prétexte à une vraie mélancolie due à un certain âge de l’amour.

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Così fan tutte au Festival d'Aix-en-Provence
© Monika Rittershaus

On retrouve aussi dans l’ensemble une vanité de badinage et de libertinage mondains, et parfois une grande violence de rapport entre les sexes, portés essentiellement par le baryton très buffa de Georg Nigl en Don Alfonso et la Despina acérée et virtuose de Nicole Chevalier. Le Così d’Haneke à Madrid n’est assurément pas loin. Et derrière un rire de façade omniprésent, Mozart arbore les larmes sèches et amères des Scènes de la vie conjugale de Bergman. Il y a là une expérience vocale limite qui est tentée. Mozart y perd peut-être un peu, mais le théâtre y gagne. Sur ce coup, il faut choisir son camp.

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Così fan tutte au Festival d'Aix-en-Provence
© Monika Rittershaus

Mais vers la pluie, patatras, le projet s’émousse. L’équilibre psychologique tissé jusque-là se perd dans une sordide histoire de domination quasi sexuelle et animale orchestrée par le couple d’hôtes. Histoire qui raccorde mal avec le livret originel. L’orchestre Balthasar Neumann sous la direction de Thomas Hengelbrock qui avait jusque-là su faire preuve d’une grande souplesse dans les tempos, avec des silences offrant de grandes respirations à la scène, semble s’enliser dans un opéra qui ne trouve plus sa fin… Les cors déjà peu précis en première partie, comme les pupitres de bois relativement acides, n’aident pas, par exemple, à faire rayonner le « Per pietà » d’une Fiordiligi (Agneta Eichenholz) qui tourne en rond pour rejouer les mêmes jeux de rôles qu’en première partie.

Là où le précédent Carmen aixois de Tcherniakov tenait la distance avec le livret jusqu’au bout, ce Così fait un peu l’effet d’un pétard mouillé par un soir d’orage, nous laissant le souvenir d’une soirée confuse et brouillonne.

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