A Aix-en-Provence, un Opéra de quat’sous avec tout le confort moderne

- Publié le 5 juillet 2023 à 12:47
Une nouvelle traduction ainsi qu'une réorchestration due au chef Maxime Pascal actualisent la pièce de Brecht et Weill. Si le spectacle de Thomas Ostermeier, par sa radicalité, laisse perplexe, la troupe de la Comédie-Française triomphe, équilibrant avec plus ou moins de bonheur art du chant et du théâtre.
L'Opéra de quat'sous

Invitée au Festival d’Aix pour la première fois de son histoire, la Comédie-Française ne pouvait y présenter L’Opéra de quat’sous… qu’en français. Choix certes frappé de sagesse pour un public non germanophone, s’agissant d’une œuvre qui comporte davantage de texte parlé que chanté. La production se base sur une nouvelle traduction due à Alexandre Pateau, qui a effectué un minutieux travail de recherche pour remonter à la source, retranscrire la langue si particulière de Brecht, l’actualiser aussi – les gros mots que l’on entend sont davantage ceux d’aujourd’hui que ceux d’avant-guerre. On s’est efforcé également de mieux ciseler les paroles des songs sur l’écriture vocale de Weill – ce qui n’empêche guère, parfois, une impression d’hiatus, tant celle-ci épouse la prosodie allemande.

La modernisation est aussi dans la fosse où Maxime Pascal a invité des guitares électriques et un clavier électronique. La greffe prend, car elle est réalisée sans couture, et grâce à l’énergie d’un chef qui ne se ménage pas pour chauffer ses musiciens du Balcon, faisant chalouper rythmes et mélodies d’un geste toujours éruptif. Mais ce que l’on gagne en confort moderne, on le perd un peu en sauvagerie, en acidité, voire en sobriété. Ainsi dans la « Chanson de Salomon », où une orchestration passablement sirupeuse remplace le seul bandonéon, mettant à mal un des sommets de poésie que recèle la partition.

Comédiens à l’œuvre

Quat’sous étant une parodie d’opéra, même un anti-opéra, Thomas Ostermeier rompt avec le naturalisme qu’il perçoit dans les mises en scène traditionnelles, lui préférant la vérité de la performance théâtrale. Il nous montre donc des comédiens à l’œuvre, avec le souci d’abolir la frontière entre la représentation et le réel. « Je viens des coulisses », rétorque ainsi un personnage à un autre qui lui demande d’où il sort. Les ajouts et improvisations sur le texte abondent, fidèles à l’impertinence cabaretière de la pièce, dans le but surtout de briser ce fameux quatrième mur imaginaire qui se dresse entre la salle et le plateau – les protagonistes s’adressent souvent au public, le font même participer.

C’est sans doute dans cette logique qu’a été imaginé le dispositif, minimaliste : un fond noir, un praticable auquel mènent des escaliers métalliques, une simple grille pour évoquer la prison. Le principal élément de cet austère décor conçu par Magda Willi est une rangée de quatre micros plantés à l’avant-scène, où les comédiens viennent chanter leurs songs et souvent lancer leurs répliques, dans l’esprit du stand up. D’où parfois un sentiment de statisme, d’uniformité visuelle aussi, que ne dissipent pas tout à fait les lumières versatiles d’Urs Schönebaum ni les innombrables images, fixes ou plus souvent animées, qui défilent sur quelques écrans, puisant leur vocabulaire esthétique dans le constructivisme des années 1930 (Sébastien Dupouey). Quant au procédé qui consiste à dérouler sur trois bandeaux lumineux les didascalies ou les textes de liaison dits d’habitude par un récitant, il semble excessivement didactique.

Aréopage interlope

Dans ces conditions, tout repose sur le jeu des Comédiens Français, flamboyants (comme les costumes que leur a taillés Florence von Gerkan, dans une veine chic triviale), galvanisés par les pouvoirs secrets du metteur en scène qui fait d’eux un aréopage interlope parmi lequel les grandes gueules matent les petites frappes sans ménagement. Birane Ba (Macheath), Benjamin Lavernhe (Brown), Elsa Lepoivre (Jenny), leurs nombreux acolytes, tous équilibrent avec plus ou moins de bonheur art du chant et du théâtre. Fraîche comme une rose, Marie Oppert (Polly) est celle qui possède la technique vocale la plus aguerrie – mais c’est une technique lyrique qui, de ce fait, jure avec celle de ses partenaires. Mention particulière pour le couple Peachum : lui c’est Christian Hecq, monument de gouaille rocailleuse, elle Véronique Vella, avec du bagou en-veux-tu-en-voilà, une verve parigote qui fait mouche.

Après les premiers saluts, toute la troupe entonne un couplet inédit du chœur final, ajouté en 1948 par Brecht, dénonciation des « nouveaux fascistes » qui résonne dans le ciel d’Aix avec une brûlante actualité. Presque un siècle après sa création, Quat’sous n’a rien perdu de son pouvoir subversif.

L’Opéra de quat’sous de Brecht et Weill. Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, le 4 juillet. Représentations jusqu’au 24 juillet.

Diffusé sur France Musique le 10 juillet, sur Arte Concert le 12 juillet.

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