Le Vaisseau fantôme, monde intérieur et paysage maritime à Vienne
Dans sa production du Vaisseau fantôme de Wagner, Aron Stiehl s’occupe des deux mondes qui occupent la scène. Le monde intérieur, aspect dominant de sa mise en scène, est directement associé à l’immensité de la mer, tandis que le monde extérieur est délimité par des murs sombres (comme dans le ventre d’un ancien vaisseau).
Frank Philipp Schlössmann capte cette dualité par sa scénographie, les décors mobiles se dégageant pour dévoiler la mer à l’horizon, soulignée (comme la poésie de l’ensemble) dans son immensité par l’éclairage bleu foncé – poésie culminant sur l’image de la silhouette de Senta allant vers la mer.
La première apparition du hollandais figure également parmi les autres images comparables en effet et intensité, mais la richesse colorée de l’éclairage n’est pas sans excès (les transitions trop explicitement soulignées enlèvent à la poésie et au mystère des moments où le fantastique n’est pas encore pleinement manifesté). La direction d’acteur creuse l’intense intériorité des interprètes, mais jusqu’à susciter par moment une trop grande impression d’inertie, battue en brèche par les performances vocales.
Josef Wagner saisit la profondeur poétique du Hollandais avec compréhension et sensibilité. La clarté de sa diction est impeccable, très agréable pour suivre le développement de son interprétation. La résonance du timbre est équilibrée et dense d’une texture veloutée. Les transitions entre les registres sont assurées de manière naturelle et convaincue, preuve de la maîtrise à la fois du chant et du rôle. Le seul regret ne lui est pas imputable, la disposition dramatique insistant sur son personnage comme figure mi-fantastique, mi-réelle, éloignant d’autant son incarnation corporelle.
Anna Gabler enchante visiblement l’auditoire en Senta par la pureté cristalline et la concentration lyrique de son timbre. Les élans dans le registre aigu sont bien soignés, de telle sorte que les percées ne sont jamais criardes, mais établissent une cohérence avec les autres registres. L’interprétation qui lui est demandée est également raidie et monotone, avec une marche de somnambule (insistant seulement sur la dimension symbolique, l’empêchant de réagir face à la violence de Mary et à la frustration amoureuse d’Erik juste avant le dénouement).
Bernhard Berchtold (Erik) frappe par la clarté et la légèreté de son timbre, agréablement surprenant contrepoint de la force lyrique de Senta, pour un caractère héroïque. Les nuances du chant dans le médium et le grave sont bien maîtrisées et soignées. Cependant, les élans vers l’aigu demanderaient plus de force et un sens de l’urgence afin de mieux manifester la frustration du caractère.
Albert Pesendorfer est un Daland imposant et dans le même temps blasé, dont l’indifférence générale se manifeste dans ses manières et ses échanges. Le timbre sombre, d’une texture légèrement métallique, capte bien cette dualité psychologique du renoncement intérieur au monde.
La stricte et hautaine figure de Mary, ici cheffe de chœur qui punit celles qui ne satisfont pas ses attentes surprend aussi agréablement avec Stephanie Maitland par l’élégance et la richesse texturale de son timbre, qui s’oppose à la nature de sa figure. Dans les élans, les percées soulignent le caractère velouté du timbre, imposant et bien corsé, dont les nuances sont attentivement soignées.
Timothy Fallon (le timonier) chante du côté de la scène pour David Kerber vocalement souffrant, mais qui maintient tout de même sa présence au plateau. Le timbre fier et chaleureux met en valeur son chant enthousiaste et plein d’énergie, qui capte la vigueur et la curiosité du jeune marin.
Ben Glassberg dirige l’orchestre de la Volksoper avec finesse et un souci des détails et des nuances dynamiques au service de la progression dramatique des épisodes. Les textures des instruments et les échanges entre les registres sont mis en valeur grâce à leur netteté et précision, particulièrement dans les grands arcs dramatiques des deux épisodes décisifs (l’entrée du Hollandais et la ballade de Senta, en soutenant bien ces deux solistes).
Les chœurs assurent la dynamique scénique avec vivacité mais quelques instabilités et imprécisions dans la diction, notamment sur les syncopes (contre-temps), dans le chœur des fileuses. La synergie est remarquée dans le chant des marins et la scène de la fête au dernier acte, qui établissent une tension importante avant le sombre dénouement.
L’accueil de la soirée est enthousiaste pour tous les aspects du spectacle.